Valls est-il trop à droite ?
Par Laurent
Joffrin
Le Nouvel
Observateur / Publié le 01-04-2014 / http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20140401.OBS2202/valls-est-il-trop-a-droite.html
Le nouveau
Premier ministre, au profil jugé "droitier", correspond à la demande
des Français exprimée dans les urnes. Encore faut-il qu'il obtienne des
résultats.
Valls ? Un
contresens ! Ainsi parle une partie de la gauche, qui impute à une politique
trop droitière, ou trop libérale, le désastre électoral subi aux municipales. Au
lendemain d’une telle défaite, ajoute-t-on, il eût fallu donner un vigoureux
coup de barre à gauche pour espérer retrouver la faveur d’une opinion
progressiste déboussolée. Fréquent, courant, répandu,
le diagnostic mérite une analyse plus approfondie que le simple réflexe. On
constatera alors que les idées reçues ne sont pas, comme souvent, les mieux
fondées en réalité.
Première remarque : si les listes les plus
à gauche – celles du Front de Gauche notamment – ont réalisé des scores
honorables, aucun mouvement de fond, aucune adhésion spectaculaire ne s’est
portée sur ces candidats qui font en permanence le procès de la
social-démocratie pour exiger une politique beaucoup plus audacieuse. Les
électeurs rejettent le rose mais ils ne plébiscitent pas le rouge. Au
contraire, les grands vainqueurs du scrutin sont l’UMP et le Front national.
Comme toujours quand la gauche de gouvernement est en difficulté, l’électorat
bascule vers la droite et l’extrême droite, non vers la gauche de la gauche. Si
l’on se fondait sur le résultat électoral immédiat, il faudrait, pour retrouver
la faveur des électeurs, aller vers la droite et non vers la gauche…
Les classes populaires tentées par la droite
Aussi bien, l’examen des enquêtes d’opinion
contredit les anathèmes anti-Valls qu’on entend dans une partie de la gauche.
Dans un sondage BVA publié par le "Parisien", il apparaît très
clairement que l’ancien ministre de l’Intérieur est populaire non seulement
dans l’opinion en général, mais aussi à gauche. Sa nomination à Matignon était
souhaitée par 66% des Français. A gauche, le taux d’approbation est encore plus
fort : 88% au sein de l’électorat socialiste, 75% au sein de l’électorat de
gauche au sens large. Valls est présenté comme un droitier. Cela ne l’empêche
pas de plaire à gauche…
On dira que les classes populaires se sont abstenues en raison d’une
politique de rigueur qui comprime le pouvoir d’achat et ne fait pas reculer le
chômage. Ce facteur-là a joué, bien sûr. Mais les
classes populaires, on le constate avec frayeur, sont surtout attirées par le
Front national. Le PCF, comme le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, mordent
fort peu sur cet électorat. Quand le leader
du Front de Gauche est allé défier le FN à Hénin-Beaumont, il a échoué. Cette
fois, le candidat lepéniste a été élu au premier tour dans cette ville
ouvrière.
L’idée que les Français les moins favorisés
vont naturellement vers la gauche est malheureusement réfutée depuis longtemps.
Au contraire, la gauche fait ses meilleurs scores au centre des grandes villes.
Plus on s’éloigne de ces nouveaux bastions – dont Paris offre l’exemple le plus net – plus le
vote à gauche (y compris celui du Front de Gauche) tend à s’effondrer. Dans
certaines villes du midi, la gauche a disparu, extrême gauche comprise. Les
analyses de Christophe Guilluy, ce géographe qui analyse la "France
périphérique" se vérifient de plus en plus.
Valls
attendu sur ses résultats
Aussi bien, une grande partie des ménages ouvriers ou populaires
comprennent fort bien que les déficits et les dettes, à terme, finissent par se
retourner contre leurs bénéficiaires apparents. Ils savent, pour le vivre tous
les jours, ce qu’il en coûte de dépenser plus qu’on gagne ou de s’endetter de
manière déraisonnable. Voyant que le budget de la France subit un déficit
important, que le commerce extérieur se solde par un trou extraordinaire, ils
voient, aussi bien que n’importe quel bobo, qu’on peut difficilement continuer
sur ce rythme. Ils entendent depuis trop longtemps des promesses inconsidérées
non-suivies d’effet pour se laisser prendre à tout coup aux discours
démagogiques. Le langage de l’effort est souvent mieux compris des classes
populaires qu’on ne le croit. Ce qu’elles contestent, c’est le manque de
résultat, qui leur laisse à penser que les sacrifices consentis le sont en
vain. C’est la raison principale, outre les erreurs de gouvernance, de l’échec
socialiste aux municipales.
Pour toutes ces
raisons, il n’est pas certain que l’opinion approuverait une volte-face qui
conduirait le nouveau gouvernement à dépenser au-delà des capacités réelles du
pays. Chacun comprend que la lutte contre les déficits, aussi désagréable
soit-elle, s’impose à n’importe quel gouvernement. La relance du pouvoir
d’achat est nécessaire mais elle sera forcément limitée, sauf à rendre les
déficits incontrôlables. L’opinion, y compris l’opinion
populaire, le sait. Elle jugera Valls non sur sa réputation, mais sur ses
résultats.
Laurent Joffrin - Le Nouvel Observateur
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