Le FN, de la
préférence nationale à la « préférence communale »
Le Monde.fr |
28.03.2014 / Par Philippe Euzen / http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/03/28/fn-de-la-preference-nationale-a-la-preference-communale_4391726_823448.html
Les villes que
les candidats FN vont gagner ne seront pas « des laboratoires idéologiques », a
affirmé Marine Le Pen au lendemain du premier tour de l'élection municipale. A
l'approche du second tour, les cadres du parti veulent éviter les parallèles
avec les précédentes expériences de gestion communale par le Front national.
Mais si les termes employés ne sont plus les mêmes, l'idéologie semble être
assez proche, tendant à instaurer une discrimination locale.
Comme en 2014, le
FN espérait prouver, en 1995, qu'il est capable de gérer des villes. Mais la
stratégie était différente. Les élus avaient pour ambition d'appliquer
localement le programme du parti qui allie sécurité, préférence nationale et
baisse de la fiscalité. Les expériences les plus poussées ont été réalisées à
Toulon et Vitrolles (Bouches-du-Rhône).
Dans cette
dernière a été mise en place, en 1998, une prime de 5 000 francs attribuée «
aux enfants français nés de parents européens ». Cette expérience avait alors
été jugée par le tribunal de Marseille illégale et la maire Catherine Mégret
condamnée pour « discrimination » et « incitation à la discrimination ».
Cette
condamnation, l'actuel candidat FN à Fréjus, David Rachline, bien placé pour
remporter la ville, la trouve anormale et il semble apprécier cette idée de «
préférence nationale ». Dans un livre publié en 2008 (Jeunes Nationalistes
d'aujourd'hui, signé Christian Bouchet, candidat à Nantes) que L'Express a
retrouvé, M. Rachline explique que la prime de naissance est la « condition
indispensable d'une politique familiale digne de ce nom » et qu'il est «
scandalisé de ces persécutions politiques, judiciaires et financières, ce qui
[l']amena à [s']intéresser de près à l'action politique et militante, pour
ensuite adhérer au Front national ».
Mais, il assure,
toujours à L'Express, que ce n'est pas dans son programme municipal. « La prime
à la naissance ne fait pas partie de mes propositions », affirme-t-il,
estimant, cependant, « injuste qu'on accuse Catherine Mégret de racisme ». Il
suit ainsi les directives de Marine Le Pen qui a promis de « respecter la loi »
bien qu'elle déclare aussitôt : « Nous la changerons quand nous serons au
pouvoir. »
DES TERRITOIRES
AUTONOMES À PROTÉGER
Les candidats aux
municipales 2014 n'ont donc pas fait campagne sur ce concept de « préférence
nationale » et privilégient les questions d'emploi, de sécurité ou de
fiscalité. Ils veulent ainsi apparaître proches des préoccupations locales,
économiques et sociales, et laisser entendre qu'il seront des protecteurs pour
leurs administrés face aux « dégats de la mondialisation ».
Pourtant, on
trouve dans les programmes et les tracts des références à cette idéologie. Dans
ces documents, plusieurs candidats laissent penser qu'ils veulent gérer leurs
communes comme s'il s'agissait de territoires autonomes à protéger de
l'extérieur.
Sur le plan
sécuritaire, ils veulent gagner en autonomie avec, notamment, le renforcement
de la police municipale. En passe de devenir le maire de Béziers (44,88 % des
voix au premier tour), Robert Ménard, par exemple, soutenu par le FN, a un
programme bien fourni sur le sujet. Il propose le doublement des effectifs des
forces de l'ordre ainsi que leur équipement avec des « armes de poing et [des]
pistolets à impulsion électrique, type Taser ». Mais aussi le développement de
la « vidéoprotection nomade », de brigades spécialisées…
Il
préconise également de favoriser certaines formes de délation en développant «
un site Internet pour permettre aux citoyens d'informer en temps réel la police
municipale d'actes d'incivilité ou de nuisances diverses » de « soutenir des
initiatives comme « Voisins vigilants » avec l'ensemble des comités de
quartiers » ou encore de développer une « application « alerte aux quartiers »
pour téléphone portable qui permet de signaler pour les inscrits la présence
d'individus suspects dans un quartier ». Tout cela pour un coût estimé par lui-même à « 600.000 euros ». Mais c'est, dit-il, « plus utile et
moins cher qu'un bâtiment, un « cube », pour faire du rap ou du slam »…
UNE DÉCLINAISON
DE LA PRÉFÉRENCE NATIONALE
S'il faut
protéger les citoyens communaux dans leur territoire, il faudrait surtout, à
lire les programmes des candidats FN et du Rassemblement bleu Marine,
réaffirmer les frontières. De l'idée de préférence nationale est donc née celle
de « préférence communale ». Peu d'entre eux emploient cette expression dans
leurs programmes. On le retrouve davantage dans certaines déclarations et dans
des tracts électoraux.
Dans le Bulletin
d'informations du Rassemblement bleu Marine de mars 2014, de la liste Pontault
bleu Marine, menée par Christophe Bertin (25,4 % au premier tour), à
Pontault-Combault (Seine-et-Marne), et sur son site Internet, on trouve ce
point inscrit dans le chapitre « Les priorités municipales » : « Instaurer la
“préférence communale” (marchés publics : les entreprises locales d'abord). »
Le candidat FN de
Six-Fours (Var), Frédéric Boccaletti, qui s'est qualifié au second tour avec
29,51 % des voix, prônait lui aussi, fin 2013, cette « préférence communale »,
mais, cette fois-ci, dans l'attribution des logements sociaux. C'est le même
qui expliquait, en octobre 2011 : « (…) Je ne fais que défendre la préférence
locale qui n'est, rappelons-le, qu'une déclinaison de la préférence nationale
défendue par le FN depuis toujours. »
APPLICATION AUX
DOSSIERS ÉCONOMIQUES
Damien Guttierez,
candidat FN à La Seyne-sur-Mer (qualifié pour le second tour avec 26,27 % des
voix) dans le Var, expliquait ainsi son programme, en 2013 : « La nouvelle
municipalité seynoise répondra d'abord aux demandes de logement de celles et
ceux qui sont nés ou installés à La Seyne-sur-Mer et le leur attribuera, sous
condition, publiquement. »
Ce concept, les candidats FN l'appliquent
aussi dans les dossiers économiques. Pour lutter contre le chômage dans leurs
villes respectives, il faut, expliquent-ils, privilégier l'emploi des chômeurs
locaux. Par exemple, dans une interview donnée à Ouest-France, fin février,
Serge Michelini, candidat à Bayeux (11,33 %) dans le Calvados, reconnaît que «
les communes n'ont pas un grand pouvoir pour créer de l'emploi », mais il
préconise tout de même de simplifier « les démarches administratives » pour
rendre le « territoire plus attractif » et affirme que la « priorité doit être donnée
aux chômeurs bayeusains ».
Cette protection
des administrés et du territoire municipal va pour beaucoup d'entre eux de pair
avec l'arrêt ou la maîtrise des constructions « des logements sociaux (…)
occupés par des familles étrangères », explique Frédéric Boccaletti. Mais
aussi, l'« expulsion des familles délinquantes » du territoire communal pour «
le bien-vivre social ».
Marine Le Pen détaille au
"Monde" sa stratégie de conquête du pouvoir
Le Monde.fr |
28.03.2014 / http://www.lemonde.fr/municipales/article/2014/03/28/marine-le-pen-ce-qui-nous-manque-c-est-un-bilan_4391330_1828682.html
Propos recueillis
par Abel Mestre et Caroline Monnot
Marine Le Pen
veut parachever la stratégie dite de « dédiabolisation » de son mouvement. Pour
cela, la présidente du FN a besoin d'un « bilan » politique à mettre en avant.
Ainsi, elle dresse une feuille de route pour ses futurs maires et conseillers
municipaux et place la barre très haut : ils devront être vertueux, respectueux
de l'opposition et « tenir leurs promesses ».
Quel bilan
tirez-vous du premier tour des municipales ?
Marine Le
Pen : Un bilan très positif. Nous avons rempli nos objectifs : plus de 500 listes, et nous aurons plus
de 1 000 conseillers municipaux à l'issue du second tour. Nous avions envisagé
plus de quinze villes gagnables, nous en avons effectivement une quinzaine.
Il y a une grande
leçon dans ce scrutin : la nécessité de l'implantation. D'autant plus que
l'implantation se fait par cercles concentriques et on l'a démontré dans le
bassin minier. D'une ville où l'implantation est faite, ce sont quinze ou vingt
villes qui peuvent, la fois suivante, avoir des candidats.
Votre
positionnement « ni droite ni gauche » n'est-il pas une impasse qui vous
empêche de passer des alliances ?
Pas du tout.
C'est ce qu'attendent les Français. Dans notre électorat, il y a des déçus de
l'UMP et des déçus du PS. Nous sommes à l'année zéro d'un grand mouvement
patriote, ni de droite ni de gauche, qui fonde son opposition avec la classe
politique actuelle sur la défense de la nation, le rejet de l'ultralibéralisme,
de l'européisme, capable de transcender les vieux clivages pour poser les
vraies questions : est-on dans une vision nationale ou postnationale ? J'espère
que cela apparaîtra de manière claire lors des élections européennes.
Pour vous, le FN
pourra prendre le pouvoir seul ?
On passe par une
tripolarisation de la vie politique française. Or, sauf à passer à une VIe
République, la Ve va imposer à nouveau une bipolarisation, c'est la logique des
institutions. Cela se fera entre l'UMPS d'un côté et le Front
national-Rassemblement Bleu Marine de l'autre.
Est-ce
l'étiquette FN ou vos idées qui empêchent des militants UMP de vous rejoindre ?
Non, le seul
plafond de verre que l'on a encore, et qui est en train de sauter, est de ne
pas pouvoir montrer ce que l'on est capable de faire. C'est-à-dire, un bilan.
C'est ce qui nous manque. C'est important. Je n'entends pas refuser cet
obstacle. C'est grâce à ce bilan que l'on passera à un stade supérieur.
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