La poussée du FN aux municipales, un séisme politique ?
Le Monde.fr |
24.03.2014 / http://www.lemonde.fr/municipales/article/2014/03/24/la-poussee-du-fn-aux-municipales-l-emergence-d-un-tripartisme_4388368_1828682.html
Par Françoise
Fressoz
Si Marine Le Pen
dit vrai, c'est un séisme : le bipartisme est mort, place au tripartisme PS,
UMP, Front national. Vainqueure incontestable du premier tour des élections
municipales, la fille de Jean-Marie Le Pen a poussé autant qu'elle a pu,
dimanche, son avantage sur les plateaux de télévision, projetant sur l'ensemble
du paysage politique la poussée locale enregistrée par son parti. Les deux
autres formations n'auraient qu'à bien se tenir. Elles ne seraient aujourd'hui
que l'ombre d'elles mêmes, bien trop faibles pour contenir l'intrus
irrésistiblement porté par les urnes.
Pour
appuyer sa thèse, la présidente du FN ne manque pas d'arguments. Sur fond
d'abstention record qui aurait dû lui nuire, son parti a collectionné les
succès. Il a arraché dès le premier tour Hénin-Beaumont à la gauche, est arrivé
en tête dans une dizaine de municipalités comme Béziers, Saint-Gilles, Fréjus, Perpignan . Il s'est
positionné en deuxième position dans une poignée d'autres cités comme Nîmes,
Cavaillon, Istres ou Villeneuve-sur-Lot. Il a en outre réalisé des percées dans des villes aussi diverses que
Marseille, Metz, Lille, Saint-Etienne, Amiens ou Quimper.
TOUT À RÉAPPRENDRE
Faiseur de roi
dans plus de 200 villes où des triangulaires seront organisées du fait de sa
présence, le FN est assuré de tenir la vedette pendant l'entre-deux-tours. Il
va compter les points entre la gauche qui demande le front républicain et la
droite qui le rejette, il va s'amuser à affoler l'état-major de l'UMP en
faisant miroiter ici ou là quelques alliances possibles.
Plus
fondamentalement encore, ce parti va faire élire bien plus que le millier de
conseillers municipaux auxquels il prétendait. Parler de la fin du bipartisme
au niveau municipal est néanmoins erroné. Car le modèle n'est pas celui là : si
la droite a l'habitude de gouverner seule, les socialistes, qui ont largement
dominé la scène municipale ces dernières années, ont au contraire fonctionné
sur un principe pluriel. Ils ont fait alliance avec d'autres partis de gauche
(Verts, communistes) ou du centre. C'est d'ailleurs en jouant sur le réflexe
d'union entre les deux tours que le PS espère atténuer un peu sa défaite
dimanche prochain : les Verts et le PC ont de fait souvent mieux résisté que
lui.
Avant de prétendre être un grand sur la
scène locale, le Front national a quant à lui tout à réapprendre car il revient
de loin. En 1995, il avait remporté trois villes : Toulon ,
Marignane, Orange ,
qu'il n'avait pas su gérer. Puis il avait tout perdu du fait de la scission
intervenue en 1999 entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret. Aujourd'hui, il
repart de zéro et devra se montrer pugnace s'il veut prétendre devenir un grand
parti avec tout le réseau de notables qui va avec.
STRATÉGIE DE LA BOULE DE NEIGE
Mais Marine Le
Pen est sur une dynamique qui dépasse les seules élections municipales. Sa stratégie est celle
de la boule de neige : une victoire en appelle une autre, plus grande que la
précédente. A présent qu'elle a marqué des points au scrutin de mars, elle rêve
d'arriver première aux élections européennes de mai. Elle veut dépasser l'UMP
et le PS, en surfant sur la crise et le ressentiment à l'égard de l'Europe. Les
sondages montrent que ce n'est pas impossible. Puis viendront les élections
régionales de 2015, où elle entend consolider l'implantation entamée aux
municipales. Et tout cela mènera à la présidentielle de 2017, où elle est
persuadée de bouleverser le jeu, comme l'avait fait son père en 2002. Mais avec
en prime un réseau d'élus pour appuyer l'offensive.
Certes, il ne
s'agit que d'un rêve mais certains commencent à le prendre au sérieux. Notamment
le socialiste Jean- Christophe Cambadélis, qui, le 15 octobre, soulignait dans
un entretien au Monde : « Le problème de François Hollande n'est pas que son
gouvernement n'est pas très populaire. C'est qu'un tripartisme se met en place entre l'UMP, le PS et le FN. Le Front national, fort d'un abstentionnisme important au premier
tour, s'est installé au centre de la vie politique française. Il constituera
l'enjeu des prochaines élections. »
L'aveu n'est pas mince car cela revient à
reconnaître tout ce qui différencie la situation actuelle de celle qui
prévalait dans les années 1990 quand le Front national était haut. Le parti d'extrême droite s'est banalisé.
Et pas seulement parce qu'il a changé de patron. Pour le contrer, la
diabolisation est de moins en moins efficace parce que ses thèmes de
prédilection, l'immigration, la sécurité, ont largement imprégné la droite, au
point que celle-ci rejette désormais l'idée de front républicain.
Le FN est en même temps plus offensif parce
que son discours, devenu ethno-social, vise à séduire les victimes de la crise,
les « laissés pour compte » de la mondialisation, ceux qui avaient cru au
changement en 2007 puis en 2012 et n'ont rien vu venir. En ce sens, le Front
national de Marine Le Pen est devenu un sérieux problème pour le PS et l'UMP.
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