Crise
des réfugiés : l’Europe vit un moment historique
LE MONDE |
26.02.2016 à 13h41 • Mis à jour le 27.02.2016 à 10h55
EDITORIAL
On ne sait plus
quelle expression utiliser. Sous le choc de la vague migratoire,
l’Europe se disloque, se désintègre, se déconstruit. Sauf
sursaut d’ici à un prochain « sommet » européen en avril, les
historiens dateront certainement de cette affaire, de ces années
2015-2016, le début de la décomposition de l’Europe. Ils diront
que ce fut un beau projet commencé au milieu des années 1950 et qui
s’achève avant le premier quart du XXIe siècle.
Lire aussi :
L’Europe cède à la panique dans le dossier des migrants
L’esprit européen
aura soufflé, avec le soutien des peuples, plus d’un demi-siècle,
avant que le projet ne s’éteigne, devenu impopulaire, victime de
son incapacité à se renouveler, plombé par l’absence de
dirigeants politiques européens d’envergure.
Encore une fois, il
ne faut pas désespérer d’une possible rémission. Mais les faits
sont là, durs, irréductibles à l’un de ses communiqués «
communs » débiles dont Bruxelles a le secret. Les Européens se
déchirent sur la crise des migrants. Les Européens soit ne veulent
pas, soit ne peuvent pas faire face ensemble. Ils savent qu’il n’y
a pas de solution unilatérale – sauf à sacrifier l’un d’eux,
la Grèce, qui se transformerait en un immense camp de réfugiés.
Ils n’ignorent pas que les questions posées par l’afflux de ces
cohortes de malheureux fuyant les guerres d’Irak et de Syrie sont
par nature transnationales.
La panique gagne
Mais à Vingt-Huit,
ils sont devenus inaptes à l’action collective, hormis la gestion
du marché unique. La tragédie des réfugiés a brisé les Européens
politiquement, avec une Europe de l’Est qui n’éprouve aucunement
le besoin d’une action collective solidaire : les pays dits « de
Visegrad » ne voient pas en quoi ils sont concernés. La tragédie
les a aussi brisés juridiquement : même votées dans les règles,
les décisions prises par les sommets des chefs d’Etat et de
gouvernement sont violées sans vergogne par des pays membres qui ne
s’estiment aucunement liés par leur signature.
Le spectacle donné
ces derniers jours est bien celui d’une Europe en pleine rupture.
En principe, les pays membres se sont mis d’accord en septembre sur
la « relocalisation » de quelque 160 000 réfugiés, chaque Etat
membre en accueillant selon ses possibilités. Mais sous la force
d’un flux migratoire – plus d’un million de personnes l’an
passé, autant attendues cette année –, la panique gagne. Un par
un, les Etats suspendent les accords de Schengen sur la libre
circulation au sein de l’Union européenne (UE). Les quotas de
relocalisation ne sont pas respectés. Certains des pays qui furent
des plus généreux comme l’Autriche – avec l’Allemagne et la
Suède – referment leurs portes.
Référendum pour
quelques centaines de réfugiés
Ridiculisant les
décisions prises lors des réunions européennes, l’Autriche a
convoqué cette semaine à Vienne une sorte de sommet informel
rassemblant neuf pays qui forment la « voie des Balkans ». C’est
cette route qu’empruntent les réfugiés pour gagner la frontière
autrichienne à partir de la Grèce. Les représentants de la
Bulgarie, de la Roumanie, de la Croatie et de la Slovénie, membres
de l’UE, et ceux de l’Albanie, de la Bosnie, du Kosovo, de la
Macédoine, du Montenegro et de la Serbie se sont retrouvés pour «
isoler » la Grèce : en clair, contenir autant que possible les
réfugiés en deçà des frontières grecques.
Ni la Grèce ni la
Commission européenne, pas plus que l’Allemagne, voisine de
l’Autriche, n’ont été prévenues. Tout s’est passé en dehors
du cadre de l’UE, comme si elle n’existait pas. Colère de la
Grèce, qui a rappelé son ambassadeur en Autriche. A Budapest, le
premier ministre, Viktor Orban, veut organiser un référendum pour
approuver ou non l’accueil des quelques centaines de réfugiés
attribués à la Hongrie. Il en va, a-t-il dit, de la préservation
du « profil culturel, religieux et ethnique » de son pays.
Cependant que la Belgique, amie de la France, rétablissait des
contrôles aux frontières de crainte d’un afflux de migrants
provoqué par le démantèlement partiel de la « jungle » de
Calais...
Bref, une addition
de réflexes nationaux, conflictuels et querelleurs. Comme avant «
l’Europe »...
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