Attentats en France : et demain,
on fait quoi ?
Xavier de La
Porte | Rédacteur en chef / http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/11/attentats-france-demain-fait-quoi-257036
Quel sens donner
aux défilés monstres de ce dimanche, après les attentats contre Charlie Hebdo
et l’Hyper Cacher ? Quelle France annoncent-ils ? Edito.
Ce dimanche, lors
de gigantesques marches qui ont lieu dans tout le pays, la France a
symboliquement enterré ses morts.
Sans aucun doute,
ce fut un moment fort. De par le nombre de participants à Paris et dans les
autres villes du pays (on parle de plus de 3 millions de manifestants sur
l’ensemble du territoire). De par la quasi-union nationale affichée par la
classe politique française. De par la présence de nombre de dirigeants
étrangers. De par, surtout, la tranquillité de ces manifestations qui se sont
déroulées, à l’heure où nous écrivons, dans le plus grand calme et une concorde
manifeste.
En France – et
au-delà –, on a subi un choc. Ces défilés en sont le signe flagrant.
Mais, on le sait,
c’est le lendemain des grandes réunions, une fois que la vie doit reprendre,
que tout se joue.
Pour les blessés
– qui garderont dans leur chair la trace de ces attentats –, pour les proches
des victimes – qui devront les enterrer vraiment et vivre un deuil à la
longueur accrue par l’horreur des circonstances –, pour les témoins – qui ont
vu ce qui ne devrait jamais être vu –, ces jours seront ceux de la
convalescence, du soin, de la tristesse.
Mais pour nous,
pour le reste du pays. De quoi demain sera-t-il fait ?
Pourquoi
avons-nous défilé ce dimanche ?
Quel sens donner
à cette manifestation ? Cette question peut paraître bête, mais elle est plus
profonde qu’elle n’en a l’air. Pourquoi ces gens ont-ils manifesté ?
Pour « envoyer un
message aux terroristes ». Mais les terroristes s’en foutent. Et même, en
faisant preuve de cynisme, on pourrait dire que provoquer une telle réaction
est le plus grand signe de leur réussite. Trois personnes qui en mettent 3
millions dans la rue, qui mobilisent une quarantaine de chefs d’Etat et de
gouvernement, c’est un ratio convenable.
Pour « défendre
la liberté d’expression ». D’accord. Mais est-ce vraiment pour défendre la
liberté d’expression qu’ont défilé Viktor Orban, le premier ministre hongrois ?
Le premier ministre turc ? Tous deux dirigeant des pays qui n’hésitent pas à
mener des politiques attentatoires aux libertés publiques, et à celles de la
presse.
Pour montrer que
« la France est unie ». Mais la France est-elle vraiment unie ? Trois millions
de Français dans la rue, c’est beaucoup qui n’y sont pas. Et pour des raisons
qui sont très différentes : ceux qui s’en foutent, ceux qui approuvent, ceux
qui ne veulent pas être à côté d’autres.
Pour montrer sa
solidarité aux victimes et à leurs proches. C’est la raison la plus simple, la
plus évidente. L’empathie. C’est un beau sentiment, mais c’est un sentiment.
Est-ce qu’on peut faire de la politique à partir de là ?
Qu’on soit bien
clairs, nous ne négligeons pas l’émotion ressentie, la force du symbole, les
bonnes intentions, nous nous demandons juste si tout le monde est bien
d’accord, si ces émotions – parce que ce sont des émotions – ne peuvent pas
entrer en contradiction les unes avec les autres.
Qu’est-ce que la
France a raté ?
D’abord, il y
aura une somme de questions très concrètes auxquelles il faudra répondre.
Comment se fait-il que les services de renseignement n’aient pas pu prévenir
ces attentats ? Comment se fait-il qu’un, au moins, des trois assassins ait été
surveillé, avant que cette surveillance ne soit relâchée ? Le premier ministre
Manuel Vals a parlé de « failles », mais quelle est leur taille ? Comment se
fait-il qu’après une batterie de lois antiterroristes, on n’ait pas vu cela
venir ? Est-ce que vraiment, comme le suggère un spécialiste américain du
renseignement, la France a négligé la filière yéménite ?
Ensuite, il y a
des questions plus sociétales. Comment notre pays peut-il engendrer des
personnes capables de faire ça ? Ces gens ne vivaient pas hors de la société
française. Bien au contraire, d’après ce qu’on sait de leur trajectoire ; ils
ont eu des contacts très tôt avec des institutions de la République : l’école
bien sûr, mais aussi l’aide sociale à l’enfance, la justice, la police... Ils
n’étaient pas seulement « repérés », ils étaient des enfants de la République.
Alors comment
est-il possible qu’à un moment de leur vie, ils décident – non plus seulement
de choisir la délinquance ou d’aller faire le djihad en Irak ou en Syrie – mais
de commettre dans le pays où ils sont nés, où ils ont grandi, des actes qui
n’auront pour résultat immédiat que leur mort et celles de quelques victimes ? Que
se passe-t-il pour qu’ils pensent trouver là un sens à leur vie ? Ne sont-ce là
que de rares cas qui relèvent de la pathologie ? Ou alors beaucoup d’autres
jeunes sont susceptibles de connaître un parcours similaire ? Qu’est-ce que la
France a raté ?
Avec quoi
allons-nous rompre ?
Au-delà de ces
questions, on voit poindre une idée : nous vivrions une rupture.
D’accord. Mais
rupture pour quoi ?
Et là, les
interprétations divergent. Entre ceux qui y voient un tournant dans la
présidence de François Hollande. Ceux qui y voient la fin d’une époque
libertaire. Ceux qui y voient la volonté affichée par un pays de se relever
d’une crise morale qui le mine depuis longtemps. Ceux qui y voient le début
d’un sursaut contre la crise économique.
Comment ne pas
craindre que ce qui arrive demain, ce soit une crispation sécuritaire ? La
députée UMP des Yvelines Valérie Pécresse en appelait dimanche matin à un
Patriot Act à la française, et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a
d’ores et déjà annoncé, à la sortie de la réunion extraordinaire d’avec onze de
ses homologues européens, un durcissement prochain des contrôles aux frontières
de l’Union, et l’établissement d’un « Passenger Name Record » (PNR) qui
permettrait aux Etats membres d’échanger des données sur les passagers aériens.
Comment ne pas
craindre une crispation communautaire, et en particulier la stigmatisation des
musulmans ? Depuis mercredi, le discours politique est relativement digne, mais
de nombreux actes clairement islamophobes sont recensés.
On aimerait
qu’une mobilisation comme celle qui a eu lieu ce dimanche nous immunise mais le
pire serait sans doute de le postuler. Alors que c’est demain que la lutte doit
recommencer : contre la tentation sécuritaire, contre les atteintes à liberté
d’expression, contre l’antisémitisme, contre l’islamophobie, contre la
ghettoïsation.
Mais ces causes,
elles sont identifiées depuis tellement longtemps, tellement de gens y ont
consacré leur vie... Pourquoi deviendraient-elles
aujourd’hui évidentes ?
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