José
Manuel Barroso, l’anti-européen
LE MONDE |
11.07.2016 à
Editorial / Le Monde
http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/07/11/jose-manuel-barroso-l-anti-europeen_4967644_3232.html
L’Europe n’avait
pas besoin de cela. Que le peuple britannique décide, par référendum
et dans un climat de totale liberté politique, de quitter l’Union
européenne (UE), c’est son droit le plus strict. Cette décision
porte un mauvais coup à l’UE, ainsi privée d’un pays qui est la
deuxième économie européenne derrière l’Allemagne, qui a un
siège au Conseil de sécurité de l’ONU et un appareil militaire
et diplomatique de réputation mondiale.
On peut le
regretter, nous l’avons fait. Mais le coup est loyal, démocratique.
Par parenthèse, il devrait faire taire tous ceux qui, sans toujours
se donner la peine de regarder comment fonctionne Bruxelles,
dénoncent dans l’UE une machine quasi totalitaire. Elle ne l’est
pas. C’est une association d’Etats libre et volontaire, au champ
de compétences bien défini : il n’y a pas ou peu d’équivalent
dans l’Histoire.
Goldman Sachs est
l’une de ces banques d’affaires américaines qui incarne la crise
financière de 2008
Mais que José
Manuel Barroso, ancien président de la Commission – l’organe
chargé de faire appliquer les décisions communes prises par les
gouvernements des pays membres –, ne trouve rien de mieux, quelques
semaines après le Brexit, que de rejoindre les rangs de Goldman
Sachs, voilà qui porte à l’UE un deuxième coup. Et celui-là est
bas, indigne, et va nourrir un peu plus un discours anti-européen
qui relève trop souvent de la théorie du complot.
Goldman Sachs est
l’une de ces banques d’affaires américaines, pilier de Wall
Street, qui incarne la crise financière de 2008 – des millions
d’emplois perdus et l’explosion des dettes publiques aux
Etats-Unis et en Europe. Elle s’est notamment distinguée en aidant
la Grèce à présenter des comptes truqués pour rester dans l’euro.
A tort ou à raison, elle est devenue le symbole d’une époque de
collusion entre intérêts publics et privés.
Lire aussi :
L’ex-président de la Commission européenne José Manuel Barroso
recruté par Goldman Sachs
Ancien premier
ministre du Portugal (2002-2004), M. Barroso a présidé la
Commission de 2004 à 2014 – adoubé par tous les chefs d’Etat et
de gouvernement européens de l’époque, redoutant qu’une
personnalité d’envergure à Bruxelles puisse leur faire de
l’ombre. Il ne faut pas oublier cela : le patron de la Commission
n’est à ce poste que parce que les dirigeants des pays membres,
élus démocratiquement, en ont décidé ainsi.
Bruxelles doit
interdire à vie à un ancien de ses membres d’aller « pantoufler
» dans un domaine qu’il a réglementé
Ils ont choisi M.
Barroso, qui, dépourvu du moindre charisme, a épousé toutes les
balivernes libérales les plus simplistes de l’époque. On se
souvient du marché qui s’autorégulait, de la mondialisation qui
ne pouvait être qu’heureuse, de l’austérité budgétaire qui
était bonne pour la ligne, etc. De la crise de 2008, il n’a rien
vu venir. Il a présidé la Commission sans originalité, sans
susciter la moindre idée qui eût été susceptible de renouveler
l’idéal européen.
Son « pantouflage »
chez Goldman Sachs est « légal ». Mais, outre qu’il peut tout de
même s’apparenter à un conflit d’intérêts, il installe la
pire image qui soit pour l’Europe : celle d’une relation
incestueuse entre pouvoir politique et finance privée. Que M.
Barroso ait accepté de contribuer ainsi au discours des mouvements
protestataires anti-européens d’ultra-droite, ceux-là mêmes qui
menacent le caractère démocratique du continent, est révoltant.
C’est un geste anti-européen, aux répercussions terribles dans
l’opinion.
La Commission doit
condamner cette nomination et changer ses règles : interdiction à
vie à un ancien de ses membres d’aller « pantoufler » dans un
domaine qu’il a réglementé. Il en va de l’image de l’UE,
enfin de ce qu’il en reste.
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