Lisbonne:
le pittoresque quartier de l'Alfama victime de son succès
Le Vif Weekend
25/07/16 à 09:43 -
Mise à jour à 09:45
Quartier populaire
le plus emblématique du vieux Lisbonne, Alfama est aujourd'hui
menacé par l'afflux de touristes hébergés dans des appartements
loués par des particuliers qui pousse ses habitants à partir sous
la pression immobilière.
"On veut me
mettre à la porte pour louer ma maison aux touristes !",
s'emporte Antonio Melo, un ancien employé de commerce âgé de 70
ans, qui s'est vu notifier par le propriétaire de son immeuble, qui
a changé de mains quatre fois en l'espace d'un an, que son bail ne
serait pas renouvelé. "Bientôt, il n'y aura plus que des
touristes à Alfama", regrette-t-il, craignant de devoir quitter
son quartier d'enfance car, avec sa retraite de 600 euros, il n'a
plus les moyens d'y vivre.
Maire de
l'arrondissement de Santa Maria Maior, dont fait partie Alfama,
Miguel Coelho confirme les inquiétudes de nombreux riverains : "la
spéculation observée sur le marché immobilier du centre historique
de Lisbonne, qui est très forte à Alfama, provoque de grosses
contraintes". "Les prix d'achat et de location sont
exorbitants et les gens sont obligés d'envisager d'autres options",
autrement dit quitter ces quartiers, ajoute-t-il.
A l'origine de cette
pression immobilière : la "prolifération démesurée" des
logements consacrés à la location temporaire, estiment les maires
des trois arrondissements du centre historique, qui ont appelé à
une intervention "urgente" du gouvernement.
'Identité menacée'
Le tourisme est "un
avantage" pour l'économie locale, reconnaît M. Coelho. Mais
ces "excès constituent une véritable menace pour l'identité
des quartiers".
Cette tendance est
particulièrement visible à Alfama, très prisé des touristes,
séduits par le charme des ruelles qui s'étendent comme un
labyrinthe bâti à flanc de colline, d'où l'on aperçoit l'estuaire
du Tage. "Tous les jours, on voit des agents immobiliers faisant
du porte à porte pour dénicher des gens qui seraient prêts à
partir", raconte Ana Gago, une étudiante en géographie de 28
ans qui réalise une enquête sur cette pression touristique et
immobilière et ses conséquences sur les riverains.
Le nombre des
touristes hébergés à Lisbonne via Airbnb, numéro un mondial de la
location de logements entre particuliers, a doublé en 2015 et
atteint 433.000, selon des chiffres de cette société américaine.
L'hôtellerie classique a, quant à elle, accueilli 3,6 millions de
visiteurs étrangers l'an dernier, une hausse de 7,5%.
Dans la capitale
portugaise, qui figure dans le top 10 des destinations Airbnb dans le
monde, cette activité dépasse la simple "économie du partage"
que cette entreprise prône : 28% des propriétaires ont plus d'une
annonce active sur la plateforme et 73% des propositions concernent
un appartement entier.
Déclin
démographique
Des villes comme
Berlin et San Francisco ont pris des mesures pour empêcher des
propriétaires de retirer leurs biens de la location longue durée
pour uniquement les consacrer au marché touristique et ainsi freiner
la flambée des prix de l'immobilier.
Mais au Portugal,
frappé en 2011 par une grave crise financière, la location
touristique, déjà plus rentable, est encouragée par un taux
d'imposition inférieur à celui de la location sur le long terme.
Cette politique, qui
vise à attirer des investisseurs étrangers et à ranimer le marché
immobilier, a permis la rénovation de nombreux immeubles dégradés.
Mais elle risque d'aggraver le déclin démographique de Lisbonne,
dont la population s'est réduite à 500.000 habitants, contre
800.000 au début des années 1980. "C'est bien de rénover, le
problème c'est que tous les travaux sont destinés au tourisme. Les
gens qui ont vécu ici toute leur vie voudraient que leurs enfants
restent dans le quartier, mais c'est devenu impossible",
regrette Maria de Lurdes Pinheiro, présidente de l'Association du
patrimoine et de la population d'Alfama.
Cohabitation
difficile
Selon les experts,
le nombre des logements disponibles pour la location de longue durée
s'est réduit de 33% en cinq ans dans l'ensemble du Portugal et, dans
la capitale, les loyers ont augmenté en moyenne de 7,6% entre 2014
et 2015.
L'an dernier, les
touristes hébergés à Lisbonne par Airbnb ont rapporté aux
propriétaires 43 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 225 millions
d'euros de retombées indirectes, selon les estimations de cette
plateforme. "Il y a plus d'argent qui circule, mais les
habitants sont en train de disparaître", s'inquiète Leonor
Duarte, qui vit à Alfama depuis cinq ans.
Cette psychologue
retraitée âgée de 63 ans fait partie d'un groupe de Lisboètes qui
se sont mobilisés pour demander aux autorités de "freiner la
saignée du centre historique".
Comme elle, de
nombreux riverains se plaignent d'une cohabitation de plus en plus
tendue avec les touristes, qui font du bruit à des heures tardives
et prennent toute la place dans les tramways à l'ancienne qui
serpentent les rues étroites d'Alfama.
Sem comentários:
Enviar um comentário