terça-feira, 12 de julho de 2016

Barroso pris la main dans le Sachs


Barroso pris la main dans le Sachs
Par Jean Quatremer — 11 juillet 2016

L’embauche de l’ancien président de la Commission européenne par la sulfureuse banque d’affaires alimente les soupçons de collusion entre finance et politique et porte un nouveau coup à l’image de l’UE.

La Commission européenne ne juge plus «légitime», comme l’avait malencontreusement déclaré vendredi un porte-parole de l’institution, le recrutement de son ancien président, José Manuel Durão Barroso, par la banque d’affaires américaine Goldman Sachs (GS). Mais elle ne condamne pas pour autant ce pantouflage sans précédent. Alors qu’il tenait là une occasion en or de marquer le caractère «politique» de la Commission qu’il préside, Jean-Claude Juncker a préféré se murer dans le silence, donnant ainsi la désastreuse impression qu’il ne voulait pas insulter l’avenir, le sien ou celui de ses collègues commissaires. Un rien maladroit, c’est un euphémisme, à l’heure où ce recrutement soulève une vague d’indignations à travers l’Europe et donne l’image d’une collusion institutionnalisée entre le pouvoir politique européen et les pires intérêts financiers qu’incarne, à tort ou à raison, Goldman Sachs.

Carnet d’adresses
Pour le porte-parole de l’exécutif européen, Margaritis Schinas, Barroso n’a violé aucune des règles communautaires destinées à prévenir les conflits d’intérêts, règles qui, a-t-il souligné, ont au moins le mérite d’exister, «contrairement à d’autres organisations internationales et à la plupart des Etats membres où l’on a vu des dirigeants passer directement du service de l’Etat au secteur privé». Une allusion directe à l’ex-chancelier allemand Gerhard Schröder qui, dès le lendemain de sa défaite aux élections de 2005, a été nommé à la tête du consortium chargé de la construction du gazoduc germano-russe «Nord Stream» en mer Baltique, et dont l’actionnaire majoritaire était Gazprom. Un conflit d’intérêts majeur, puisque c’est le gouvernement Schröder qui avait signé le contrat et s’était même porté garant d’un prêt d’un milliard d’euros au dit Gazprom.

Une allusion aussi à tous ces dirigeants qui, dès la fin de leur fonction publique, ont émargé aux conseils d’administration de nombreuses entreprises (de Tony Blair, ancien premier ministre britannique, à Guy Verhofstadt, ex-chef du gouvernement belge et actuel député européen, en passant par les conférences grassement payées de Sarkozy). Barroso a ainsi soigneusement attendu l’expiration du délai de dix-huit mois après sa cessation de fonction, le 1er novembre 2014, pour signer son contrat de président «non exécutif» de GS, chargé notamment de limiter les effets du Brexit pour la banque. S’il l’avait fait avant, selon le code de déontologie de la Commission, cela l’aurait obligé à demander l’avis d’un «comité d’éthique indépendant». Là, Barroso s’est contenté d’avertir son successeur, Jean-Claude Juncker, après son embauche, selon Schinas. On ne saura jamais combien la banque d’affaires va rémunérer le carnet d’adresses de celui qui a dirigé la Commission entre 2004 et 2014, mais on a appris lundi que l’ancien Premier ministre libéral portugais (2002-2004) avait renoncé, dès janvier 2015, à son «indemnité de transition» (environ 200 000 euros brut annuels pendant trois ans). Un beau geste a priori, mais qui incite à penser que l’homme avait, dès cette époque, des assurances quant à son avenir.

Renseignements d’initiés
Si le «code de déontologie» n’a pas été violé par l’ancien président, il semble néanmoins qu’il ait pris quelques libertés avec l’article 245 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoyant que les anciens membres de la Commission s’engagent à «respecter pendant la durée de leurs fonctions et après cessation de celles-ci les obligations découlant de leur charge, notamment les devoirs d’honnêteté et de délicatesse quant à l’acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages». Est-il «délicat» et «honnête» d’entrer au service d’une banque à l’origine de la crise des subprimes, qui a aidé la Grèce à dissimuler une partie de son déficit par des opérations de «swap» (tout à fait légales au demeurant), avant de spéculer contre la dette grecque, connaissant de l’intérieur son caractère insoutenable, ce qui a entraîné toute la zone euro dans une crise sans précédent qui s’est réglée à coup de politiques d’austérité particulièrement violentes ? Car Barroso dispose de renseignements d’initiés, tant sur la réglementation financière et bancaire mise en place depuis 2009 que sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne (puisqu’il pouvait assister aux réunions de la BCE) ou sur les réformes mises en place en Grèce, qui pourraient s’avérer fort utile pour une banque dont la spécialité est justement de s’enrichir avec de telles informations. Pis : il sera chargé des relations avec l’Union afin de préserver au mieux les intérêts de son employeur pendant le Brexit.

«C’est une situation vraiment détestable», reconnaît le député européen Alain Lamassoure (LR et Parti populaire européen), qui préside la commission d’enquête parlementaire sur l’évasion et la fraude fiscale, et qui fut l’un des grands défenseurs de l’ancien président. Le groupe socialiste du Parlement européen, qui l’a pourtant investi tant en 2004 qu’en 2009, a sorti l’artillerie lourde en demandant que GS «renonce à cette embauche» qu’il juge «indécente, indigne et honteuse» et que la Commission ou au Conseil des ministres (statuant à la majorité simple) saisissent la Cour de justice européenne pour que Barroso soit déchu de sa future retraite.

Mélange des genres
En l’état, il est douteux qu’il se trouve une majorité de commissaires ou de pays pour aller jusque-là, de peur de créer un précédent qui pourrait empêcher les commissaires ou les fonctionnaires de se recycler une fois leur mandat ou leur carrière à Bruxelles achevés. Car, dans une grande majorité de pays européens, on ne considère pas que le privé et le public sont deux mondes étanches. Comme le rappelle Alain Lamassoure, «dans les pays nordiques et ibériques, il est courant qu’un politique passe dans le privé, alors que dans les pays anglo-saxons, c’est la norme. Il n’y a qu’en France où le politique c’est l’affaire d’une vie. Comme le disait Michel d’Ornano à propos de Geoffroy de Montalembert, un député dormant : "Il se présentera à l’Assemblée nationale jusqu’à sa mort, puis ensuite au Sénat."» «Il n’est pas illégitime qu’un responsable public ait une vie professionnelle dans le privé une fois son mandat achevé», renchérit Pierre Moscovici, le commissaire en charge des questions économiques et monétaires interrogé par Libération. A condition, bien sûr, que «la délicatesse» soit respectée. Une notion éminemment politique : «Si Barroso était allé dans une autre banque que GS, cela n’aurait sans doute posé aucun problème», souligne Lamassoure.

Les socialistes demandent donc au moins que les règles anti-pantouflages soient durcies et que le comité d’éthique soit saisi de tous les postes acceptés par d’ex-commissaires ou fonctionnaires pendant cinq ans au lieu de dix-huit mois, soit la durée d’une législature. Pour l’instant, la Commission n’a pas donné suite. Pourtant, tant le recrutement de Barroso que ceux d’anciens commissaires (comme Neelie Kroes, Viviane Reding, Siim Kallas ou encore Karel De Gucht) par des entreprises multinationales posent des problèmes éthiques. «Quelle image un dirigeant souhaite-t-il donner de la Commission, chargée de l’intérêt général européen, et de lui-même dans les fonctions qu’il y a exercées ? Est-ce la bonne ?» s’interroge Moscovici. La solution n’est pas simple : «En France, on a mis en place un code d’éthique pour les hauts fonctionnaires, rappelle Lamassoure. A-t-il empêché les pantouflages dans le privé ? Non.» Reste que les dégâts politiques causés par ce mélange des genres sont indéniables : «En cette période de crise, où le populisme veut dynamiter l’idée européenne et l’institution qui l’incarne, le recrutement de Barroso par Goldman Sachs choque et alimente les attaques contre la Commission», tranche Moscovici. Son président, Jean-Claude Juncker, partage-t-il son indignation ?


Jean Quatremer

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