Les ennemis de l’Europe rêvent d’union
Alexandre Sulzer| 29 mars 2019, 21h16 | MAJ : 30 mars 2019,
16h40 |31
Rome, le 29 mars. Les mouvements de jeunesse de plusieurs
partis populistes européens se sont réunis ce vendredi
Les forces populistes, dont le RN de Marine Le Pen,
discutent activement avant l’élection européenne du 26 mai. Les tractations
vont bon train, mais s’entendre entre eux n’est pas si simple.
« Nous sommes aujourd’hui à un moment historique. C’est
l’histoire avec un grand H qui va s’écrire au mois de mai prochain. L’émergence
d’une Europe des nations », prévient Marine Le Pen. A ses côtés, en ce mois
d’octobre 2018 à Rome, Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien issu
de la Ligue, abonde et loue une « révolution du bon sens qui va percuter
l’Europe inévitablement ». A l’automne dernier, les souverainistes arboraient
un large sourire sur fond de Brexit et de poussée populiste à travers l’Europe.
Depuis, la vague eurosceptique n’a pas cessé et a même fini
par impacter l’Espagne, jusqu’alors préservée. Aux législatives du 28 avril, le
parti d’extrême droite Vox, né en 2013 et quasiment inconnu il y a encore
quelques mois, pourrait devenir la troisième formation des Cortes, le Parlement
espagnol. Aux Pays-Bas, le 21 mars, le parti anti-immigration Forum pour la
démocratie est celui qui a obtenu le plus de voix aux sénatoriales.
-Le grand mercato des alliances souverainistes
De quoi redéfinir le paysage politique européen à Strasbourg
? Au RN, on assure réfléchir à la désignation d’un « Spitzenkandidat »
populiste, c’est-à-dire d’un candidat à la présidence de la Commission
européenne. Selon différents sondages, les eurosceptiques, divisés en trois
groupes (CRE, ELDD et ENL, celui auquel appartient le Rassemblement national)
pourraient peser environ 22,5 % de la future assemblée, juste derrière les
conservateurs du PPE (25 %). Pas de quoi diriger Bruxelles mais assurément, de
peser sur les votes à Strasbourg. Une influence que les souverainistes pourront
se partager, pour cause de Brexit, sans les Britanniques du Ukip ou du parti
conservateur… Lesquels formaient l’ossature de ELDD et de CRE. En coulisses,
les tractations vont bon train pour élargir les alliances existantes.
Co-président du groupe ENL (Europe des nations et des
libertés), le Français Nicolas Bay (RN) sillonne l’Europe dans cet objectif. En
décembre, il a par exemple rencontré discrètement à Budapest des membres du
gouvernement de Viktor Orban. Très attendue la semaine dernière, son exclusion
du PPE (Parti populaire européen, auquel sont rattachés Les Républicains de
Wauquiez) pour ses prises de position europhobes, n’a pas eu lieu. Le turbulent
Premier ministre hongrois n’a été que provisoirement suspendu. « Ce n’est que
partie remise. Les contradictions de fond s’imposeront », veut-on croire chez
Marine Le Pen où l’on caresse toujours l’espoir de s’allier à lui.
Egalement dans le viseur de son parti : la formation
allemande anti-immigration Alternative für Deutschland (AfD) avec laquelle de
discrets contacts ont été pris, les Démocrates suédois ou encore les Vrais
Finlandais qui ont durci leur ligne sous l’impulsion de leur chef Jussi
Hallo-alo.
Salvini plus fédérateur que Le Pen
Mais s’unir n’est pas si simple. « Avoir des détestations
communes ne suffit pas. Quand on est nationaliste, on défend des intérêts
inconciliables », observe le politologue Jean-Yves Camus, coauteur de Les
droites extrêmes en Europe (Seuil). Dans le documentaire «Europe : la tentation
populiste», diffusé le 19 mars sur France 5, l’un des dirigeants de l’AfD,
Alexander Gauland, affirme ainsi ne pas voir « comment aller plus loin avec le
RN car ils défendent une politique trop sociale ». Parmi les autres freins à un
rapprochement entre populistes : la question de la répartition des migrants au
sein de l’espace européen, le libre-échange, les travailleurs détachés, la
relation aux Etats-Unis ou à la Russie. « Les Polonais n’apprécient pas notre
russophilie », reconnaît un dirigeant du RN.
Dans ce contexte, Matteo Salvini, nouvel homme fort de
l’Italie, est celui le plus à même d’avoir l’oreille du plus grand nombre
d’europhobes. En août, « il capitano » comme l’appellent ses fidèles, recevait
à Milan le Premier ministre hongrois. En janvier, il proposait un « programme
commun » à Jaroslaw Kaczynski, le patron du parti Droit et Justice, au pouvoir
en Pologne. « Nous ne sommes pas en concurrence d’influence », assure-t-on au
RN face à ce leadership européen.
Mais Marine Le Pen aimerait quand même être à nouveau sur la
photo. Elle a essayé de faire meeting commun avec Salvini en février à Milan
puis à Rome en mars. En vain jusqu’à présent. « Mais ça se fera », assure le RN
où l’on dément catégoriquement la tentation que pourrait avoir l’Italien de
forger des alliances avec d’autres formations souverainistes au pouvoir. « Je
mets ma main sur le billot que nous siégerons ensemble », confiait en janvier
la présidente du RN, sereine.
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