Leucate
et Le Touquet interdisent à leur tour le « burkini »
Le Monde.fr avec AFP
| 16.08.2016 à 21h21
Après les mairies
de Cannes et de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) puis de Sisco
(Haute-Corse), deux nouvelles municipalités ont annoncé mardi
l’interdiction prochaine du « burkini » sur les plages. Le
député-maire Les Républicains du Touquet (Pas-de-Calais), Daniel
Fasquelle, va prendre un arrêté interdisant le burkini sur les
plages de sa commune, y voyant une façon « de lutter contre le
prosélytisme religieux ». L’arrêté devrait être signé dans la
semaine. « Il n’y a pas de burkini pour le moment au Touquet »,
a-t-il précisé « mais je ne veux pas que mes services soient pris
au dépourvu si jamais nous étions touchés par ce phénomène ».
Le maire Les
Républicains de Leucate (Aude), Michel Py, va à son tour interdire
le burkini, afin « d’assurer le bon ordre, la sécurité et la
salubrité publics ». Cet arrêté doit être signé mardi soir ou
mercredi matin et sera en vigueur jusqu’au 31 août. Il concerne
les stations de la commune languedocienne, soit Leucate Plage et La
Franqui. « Le port de vêtements pendant la baignade ayant une
connotation à ces principes y est également interdit », selon le
texte de l’arrêté consulté par l’AFP.
Devant la
multiplication des arrêtés municipaux contre les tenues de plage à
caractère religieux, des voix s’élèvent pour déplorer un
emballement dangereux, notamment chez les musulmans qui redoutent une
nouvelle stigmatisation autour d’une pratique minoritaire.
Petite
histoire du « burkini », des origines aux polémiques
LE MONDE |
16.08.2016 à 18h04 • Mis à jour le 16.08.2016 à 20h41 | Par
Adrien Sénécat
Le « burkini » est
au cœur de plusieurs controverses estivales en France. Près de
Marseille, une journée privée autorisant cette tenue dans un parc
aquatique a été annulée le 9 août face aux critiques. Un arrêté
municipal pris à Cannes interdisant le port de vêtements religieux
sur les plages a dans la foulée déclenché une bataille juridique
entre le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la
mairie. Lundi 15 août, le maire de Sisco (Corse) a pris une décision
similaire, deux jours après une rixe sur une plage.
Comment et quand
cette tenue est-elle apparue dans les piscines et plages du monde
entier ? Comment est-elle perçue dans le reste du monde ? D’où
vient le nom « burkini » ? Eléments de réponse.
Une tenue inventée
en Australie
La création de
cette tenue est couramment attribuée à Aheda Zanetti, une
Australienne d’origine libanaise. Cette dernière raconte en avoir
eu l’idée en 2004 à Sydney, en regardant sa nièce jouer au
netball (une variante à sept du basket). Selon elle, la jeune fille
peinait avec son long hijab (un voile simple sur le haut du corps) et
son survêtement. « J’ai fait des recherches et je n’ai pas
trouvé de tenues convenables pour les femmes sportives et pudiques
», raconte-t-elle au Monde.
L’Australienne
imagine alors le « hijood », contraction de « hijab » et « hood
» (« capuche », en anglais), un survêtement adapté à la «
pudeur » religieuse. L’idée du burkini, destiné à celles qui
jusqu’ici se baignaient voilées, lui vient ensuite dans la foulée,
dans un pays où les sports aquatiques sont omniprésents.
Capture d’écran
de modèles de « burkini » sur le site d’Aheda Zanetti.
Une marque déposée
Aheda Zanetti crée
alors sa société, Ahiida, et dépose les designs de ses produits en
2004 et commence à les commercialiser. A partir de 2006, elle dépose
également les marques « BURKINI » et « BURQINI » en Australie et
dans plusieurs autres pays.
La plupart des
dépôts de marques sur les noms « burkini » et « burqini » dont
nous avons retrouvé trace concernent Ahiida Pty Ltd.
Si sa créatrice
affirme avoir eu en tête le bien-être des femmes qui portent le
voile au moment où elle s’est lancée, le burkini est aussi un bon
coup commercial. La demande a rapidement suivi, affirme
l’entrepreneuse, et « plus de 500 000 tenues de bain » ont été
écoulées en une douzaine d’années, selon elle. En 2016, ses
ventes auraient augmenté de 40 %.
Signe que ce marché
suscite bien des convoitises, de nombreuses marques ont emboîté le
pas à Ahiida ces dernières années, y compris des grandes enseignes
non spécialisées dans la mode islamique, comme Marks & Spencer.
Au niveau mondial, les consommateurs musulmans ont dépensé 266
milliards de dollars (236 milliards d’euros) en « vêtements et
chaussures » en 2013, selon une étude de Thomson Reuters.
Aheda Zanetti ne se
limite par ailleurs pas aux vêtements destinés à la communauté
musulmane. Sa marque Ahiida propose aussi des modèles comparables au
burkini, mais qui ne couvrent pas les cheveux, pour les femmes qui
souhaiteraient simplement se protéger du soleil.
Capture d’écran
de modèles de maillots « sun-safe » sur le side d’Aheda Zanetti,
sur le modèle du burkini, mais sans couvrir les cheveux.
Pourquoi le mot «
burkini » ?
Comme le montrent
les dépôts de marques et le site Internet d’Aheda Zanetti, la
conceptrice du burkini a elle-même entériné la formule, mélange
de « burqa » et « bikini ». Un choix qui a l’inconvénient
d’être trompeur. La burqa, vêtement imposé par les talibans
afghans, couvre en effet l’intégralité du corps et du visage,
laissant simplement une bande ou une « grille » de tissu pour
pouvoir voir.
Le mal nommé «
burkini », quant à lui, laisse le visage découvert. Dans ses
formes les moins amples, il s’apparenterait plutôt à un simple
hijab (voile qui ne recouvre que les cheveux) doublé d’une
combinaison de natation deux-pièces. Alors que ses formes larges
ressemblent à un jilbab, qui recouvre le reste du corps. On pourrait
donc parler de « jilbab de bain ».
Aheda Zanetti
conteste cette présentation. Dans son esprit « une burqa ne couvre
pas le visage. Ça, c’est le niqab » (selon la plupart des
définitions courantes, françaises comme anglo-saxonnes, les deux
vêtements recouvrent le visage). « Je me suis dit : notre tenue de
bain est plus légère qu’une burqa et elle a deux pièces comme un
bikini, alors je l’ai appelée burkini. C’est juste un mot que
j’ai inventé pour nommer mon produit. »
Retrouver la
synthèse : Niqab, hijab, burqa : des voiles et beaucoup de
confusions
La ressemblance avec
le mot « bikini » peut également interroger, puisque ce dernier a
au contraire été inventé pour découvrir les corps. Mais l’emploi
du suffixe « -kini » n’est pas dénué de sens, ce dernier étant
utilisé dans de nombreux noms de tenues de bain, et pas forcément
les plus dénudées, du monokini au face-kini.
Le « burkini »
est-il légal en France ?
Comme cette tenue
laisse le visage découvert, elle n’est pas contraire à la loi sur
le voile intégral dans les lieux publics. Son seul caractère
religieux ne peut donc en principe pas justifier le fait de
l’interdire, comme l’a rappelé sur Europe 1 mardi 16 août
Jean-Pierre Chevènement, pressenti pour prendre la tête de la
Fondation pour l’islam de France : « Les gens sont libres de
prendre leur bain costumés ou non. Ma position, c’est la liberté,
sauf nécessité d’ordre public. »
La notion de «
troubles à l’ordre public » a néanmoins été avancée par
certains maires, comme celui de Cannes, pour justifier une
interdiction du burkini. L’arrêté cannois dit notamment ceci :
« Une tenue de
plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance
religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont
actuellement la cible d’attaques terroristes, est de nature à
créer des risques de troubles à l’ordre public (attroupements,
échauffourées, etc.) qu’il est nécessaire de prévenir. »
Ce texte a été
validé par le tribunal administratif, mais cette décision ne signe
probablement pas la fin du débat juridique autour du burkini en
France, alors que d’autres procédures sont en cours.
Le burkini peut
également être proscrit dans des établissements privés ou publics
au prétexte de l’hygiène. Certains considèrent que, bien
qu’adaptée à la baignade, la tenue peut être portée à
l’extérieur et donc être exclue comme peuvent l’être les
shorts de bain. Plusieurs cas de ce type ont été évoqués dans la
presse, à Douai, en 2011, ou à Emerainville, en 2009. Difficile, en
revanche, d’appliquer le même raisonnement aux plages.
Les polémiques sur
le burkini, une exception française ?
D’autres
polémiques comparables à celles observées en France ont également
éclaté ces dernières années avec l’arrivée du burkini sur les
plages et dans les piscines. Son interdiction a soulevé des débats
à Charleroi en Belgique, à Constance en Allemagne ou encore dans
des hôtels au Maroc. En Espagne, le quotidien El País estime
désormais que la polémique sur les plages françaises a franchi les
Pyrénées.
Il serait donc
réducteur de présenter le débat sur le burkini comme exclusivement
français. En revanche, l’ampleur prise par la controverse à la
faveur de l’été suscite des commentaires acerbes dans la presse
internationale. « Les autorités vont devoir apprendre à faire la
différence », ironise la BBC, qui met côte à côte les photos
d’une femme en burkini et d’un homme en combinaison de plongée.
« La France désigne la nouvelle menace à sa sécurité : le
burkini », renchérit l’édition internationale du New York Times.
La créatrice de la
tenue décriée, Aheda Zanetti, balaie quant à elle sèchement les
critiques :
« J’aimerais
poser une question : est-ce que les maires et politiciens en France
veulent bannir le burkini, ou juste les musulmans ? Le burkini est le
bienvenu en Australie et peu importe que vous soyez musulman,
chrétien, hindou juif etc., vous êtes tous les bienvenus ici. »
A-t-elle rencontré
des problèmes ou reçu des menaces ? « Non. En fait, les ventes ont
augmenté. Merci. »
Sem comentários:
Enviar um comentário