Les Français
se mobilisent pour sauver le patrimoine
Le
Parisien>Week-End|Laurène Champalle| 10 novembre 2017
Soutenue par l’association Adopte un château,
la?demeure de Montbriand (Ain) compte sur les dons pour se refaire une?beauté.Adopte
un château
LE PARISIEN
WEEK-END. Alors que les fonds publics destinés au patrimoine diminuent,
beaucoup de trésors français risquent la ruine. Pour sauver châteaux, églises
ou moulins, bénévoles, start-up et associations mettent la main à la pâte... et
au porte-monnaie.
Un marteau
taillant à la main, comme les artisans du Moyen Age, Julie, 16 ans, réalise des
encoches sur une pierre de carrière. Elle a beau être en vacances en cette
première semaine de la Toussaint, la jeune fille travaille d’arrache-pied, à
l’instar des autres bénévoles de l’Association de mise en valeur du château de
Coucy (AMVCC). Le petit groupe s’affaire devant la porte de Laon, la plus
monumentale des trois entrées de cette forteresse du XIIIe siècle dynamitée par
les Allemands en 1917. Julie, notre tailleuse de pierre, habite à Coucy (Aisne)
depuis son enfance et ce château, c’est un peu le sien. « Je veux faire revivre
ces ruines. Si je ne vois pas la fin des travaux, mes enfants ou mes
petits-enfants, eux, en profiteront », espère-t-elle. En trente ans, l’AMVCC a
restauré la tour Lhermitte, elle aussi intégrée à l’enceinte de la ville, avant
de s’attaquer à la porte de Laon, en 2015. Le Département, qui en est
propriétaire, fournit le matériel. Mais ce sont des bénévoles qui redonnent vie
à ce monument classé. Et il n’est pas le seul à avoir besoin d’un
sérieux coup de neuf. En France, d’après les chiffres de la Direction des
patrimoines, un quart des 44 000 monuments historiques protégés (c’est-à-dire
classés ou inscrits au Code du patrimoine) sont en mauvais état, et près de 5 %
en péril. En 2018, le budget du ministère de la Culture alloué à leur
conservation et à leur restauration plafonnera à 341 millions d’euros (- 0,1 %
par rapport à 2017). La
sauvegarde du patrimoine non protégé – plusieurs millions d’édifices – repose
elle aussi largement, et de plus en plus, sur la mobilisation des Français.
L’essentiel de ces trésors appartient à des propriétaires privés et à des
communes, souvent confrontés à des difficultés de financement, particulièrement
les villes de moins de 2 000 habitants. Or celles-ci possèdent la moitié des
joyaux d’architecture ou d’histoire du pays, dont les églises.
Des ventes de gâteaux pour récolter des fonds
Le clocher de Villar d’Arène, village des Hautes- Alpes au
pied du massif de la Meije, se repère de loin. Bâtie en 1870 sur un sol
instable, l’église de cette bourgade de quelque 300 âmes est fermée au public
depuis 1986. De larges fissures lézardent le tuf doré du Lautaret, roche dans laquelle
a été construit cet édifice non classé de style néogothique. Un crève-coeur pour Nicole Amieux, 72 ans, qui
s’y est mariée en 1970. « A la sortie de la messe, on se retrouvait tous pour
boire un verre de blanc sur la place. C’était le coeur du village », se
souvient cette adhérente de la première heure de l’Association des amis de
l’église Saint-Martin de Villar d’Arène. Créée en 1995, la structure a amassé,
grâce à d’innombrablesventes de gâteaux et de tricots confectionnés par les
femmes du village, un trésor de 200 000 euros. Grâce à lui, des travaux de
rénovation pourraient bientôt être lancés. Pour le moment, l’édifice est sous
surveillance. « Nous avons posé dix témoins sur les fissures pour mesurer les
mouvements pendant un an et déterminer s’il faudra intervenir sur le sous-sol.
Il apparaît déjà que la nef est stabilisée. En juillet 2018, nous aurons les
résultats pour le choeur et le transept, la nef transversale », explique
Catherine Pichat, l’architecte du Patrimoine missionnée pour réaliser cet état
des lieux. La mairie, propriétaire, a annoncé qu’elle participerait à hauteur
de 100 000 euros. Une somme insuffisante pour mener les travaux urgents,
estimés à 450 000 euros. Une subvention permettant de couvrir 40 % de la
facture a été sollicitée auprès de la Région. Cet automne, une campagne de
mécénat participatif, baptisée Fous de patrimoine, a par ailleurs permis de
récolter 23 000 euros de dons supplémentaires.
« On
assiste à la multiplication de petites opérations de financement participatif
au niveau local, avec un réel engouement des Français », constate Jean-Michel
Loyer-Hascoët, adjoint au directeur général des patrimoines, rattaché au
ministère de la Culture. Ainsi, les campagnes de crowdfunding, ces levées de
fonds auxquelles tout un chacun peut contribuer, foisonnent sur Internet.
Celles de la Fondation du patrimoine ont permis de récolter 15,4 millions
d’euros en 2016 pour soutenir plus de 2 000 projets de restauration d’édifices
en péril, en majorité du patrimoine rural non protégé : églises, moulins,
lavoirs... En ruine, le moulin de Luzéoc, à Telgruc-sur-Mer (Finistère),
devrait ainsi bientôt renaître de ses cendres grâce au soutien de 250
donateurs. « Les financements publics reculent de plus en plus. Il faut
trouverd’autres ressources. Le mécénat populaire complète le financement d’un
projet quand les collectivités publiques ont déjà donné. Il est en plein essor,
avec un fort potentiel de développement car de nombreux éléments ont besoin
d’être restaurés », affirme Célia Vérot, directrice générale de la Fondation du
patrimoine, qui accompagne Stéphane Bern, nommé « Monsieur Patrimoine » par
Emmanuel Macron. Fort de ses 580 bénévoles et de ses 22 délégations régionales,
cet établissement privé a notamment organisé, début novembre lors du Salon
international du patrimoine culturel, à Paris, des speed meetings (rencontres
express) avec des porteurs de projet venus de toute la France, afin de les
renseigner sur les différentes possibilités de faire financer leurs chantiers.
« Chaque donateur devient acteur de la sauvegarde de son patrimoine en
participant à la beauté et à l’intérêt du lieu où il vit. Au-delà des fonds
mobilisés, chaque collecte est l’occasion de moments de partage qui fédèrent et
dynamisent les territoires. Cela fait du bien à tout le monde car cela crée du
lien social, du tourisme, de l’emploi », analyse la directrice générale.
Le
patrimoine, « pétrole de la France »
Internet
aussi est passé par là. Depuis deux ans, de nouveaux acteurs veulent
faire la révolution numérique dans l’univers du patrimoine. Dartagnans, une start-up, et Adopte unchâteau,
une association, font souffler un vent de jeunesse sur les vieilles pierres. «
Préserver le patrimoine coûte très cher et le secteur subit en premier lieu les
coupes budgétaires. Pourtant, c’est le pétrole de la France : près de 85
millions de touristes viennent chaque année visiter nos musées, nos châteaux...
L’industrie
touristique pèse plus que l’agroalimentaire », avance Romain Delaume, 30 ans. En
2015, lui et son ami Bastien Goullard ont créé Dartagnans en sortant de leur
école de commerce. Les idées fusent au sein de leur équipe de six personnes,
installée dans un incubateur de start-up dans le 11e arrondissement de Paris. «
Nous ne sommes pas une plateforme de crowdfunding, mais une agence de
financement participatif du patrimoine, de la culture et du tourisme culturel :
au-delà du simple don, nous voulons créer la première communauté de gardiens du
patrimoine », explique Romain Delaume.
Pour
inciter les jeunes à soutenir des projets auxquels ils portent généralement peu
d’intérêt, il mise sur un don ludique et sur les réseaux sociaux. « On n’appâte
pas nos donateurs avec des déductions fiscales. La contrepartie qu’on leur
propose est une expérience culturelle »,décrit le patron de Dartagnans, qui
revendique 80 000 abonnés à sa newsletter, 30 000 fans sur Facebook et 20 000
donateurs actifs. Par exemple, une visite de chantier avec le propriétaire des
lieux et une invitation au cocktail d’inauguration des travaux en échange d’un
don de 100 euros pour restaurer la tour des Reines du château de
Saint-Saturnin, dans le Puy-de- Dôme, où fut enfermée brièvement la reine
Margot (1553-1615).
De son
côté, Julien Marquis, 35 ans, délégué général d’Adopte un château, association
qu’il a créée en 2015, cherche de nouvelles utilisations aux monuments en péril
pour assurer leur restauration et leur survie. Sa mission : accompagner
propriétaires privés et collectivités, mettre en place des partenariats... « On
travaille par exemple avec le château de Pisy, dans l’Yonne. Facile d’accès, il
pourrait accueillir un incubateur de start-up ou un espace de coworking.
L’avantage, c’est que ce type d’aménagement ne dénature pas le bâtiment »,
explique ce propriétaire d’un restaurant en Bourgogne, qui oeuvre bénévolement
pour le patrimoine, sa passion.
Un château
racheté par des passionnés
Percer des
trous dans des murs du XVIe siècle pour installer des dizaines de prises
nécessaires à des bureaux ? Nadèje le Lédan n’y songe pas. Cette avocate
parisienne de 60 ans a repris, il y a peu, le château familial de Vaugrenier à
Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), classé mais inhabitable tant il est
dégradé. Elle consacre désormais tout son temps à chercher des fonds pour le
restaurer, entre lourds prêts bancaires et maigres subventions. « Avec sa
situation idéale sur la Côte d’Azur, j’aurais pu le vendre à un millionnaire
russe ou chinois », reconnaît la propriétaire. Car si l’immobilier de prestige
a souffert entre 2009 et 2015, les ventes sont et 2015, les ventes sont,
depuis, reparties. Selon l’agence spécialisée depuis reparties. Dans de
nombreuses régions, les agences spécialisées proposent des châteaux Barnes, la
fourchette de la grande majorité des à partir de 500 000 euros, soit le prix
d’un transactions se situe entre 700 000 euros et 3 millions d’euros. Nadèje le
Lédan, deux-pièces à Paris. Nadèje le Lédan, elle, tient à son héritage : « Il
est dans ma famille depuis 1750. Autrefois, les terres généraient des revenus.
Aujourd’hui, aucun propriétaire ne peut conserver son bien sans développer
diverse sactivités annexes, comme des visites payantes, des chambres d’hôtes ou
des réceptions. »
Et si
l’avenir des vieilles pierres passait aussi par l’économie dite collaborative ?
Adopte un château et Dartagnans ont lancé cet été une campagne inédite pour
acheter collectivement le château Le Paluel en Dordogne, une ruine du XVe
siècle où fut tournée une partie du film Le Tatoué, en 1968, avec Jean Gabin et
Louis de Funès. Un acquéreur plus fortuné l’a raflé aux enchères en septembre.
Qu’à cela ne tienne, une nouvelle campagne est en ligne pour acquérir La
Mothe-Chandeniers(aux Trois-Moutiers, dans la Vienne). Entouré de douves et
envahi par les arbres, ce château en péril dégage une atmosphère féerique.
Cette fois, le propriétaire s’est engagé à le céder sans enchères pour 500 000
euros. Le principe de l’opération ? Chaque donateur devient propriétaire d’une
ou plusieurs parts de la société qui détiendra le château, une part
correspondant à 50 euros. « La société fonctionnera de façon démocratique, avec
un conseil d’administration et une assemblée générale annuelle pour décider de
l’avenir de ce monument non protégé, et donc soumis à l’appétit des promoteurs,
souligne Romain Delaume. Fédérer 10 000 copropriétaires, c’est créer une force
de frappe démultipliée, et bénéficier d’un exceptionnel vivier de talents pour
porter un vrai projet collectif. » Les options sont ouvertes.
« Sans
engager de lourds travaux, on pourrait “cristalliser” le château, c’est-à-dire
le sécuriser pour le rendre visitable tout en conservant son âme de ruine
romantique. On pourrait aussi en faire une résidence d’artistes », révèle
Julien Marquis. Plus de 330 000 euros ont déjà été réunis, versés par
des donateurs de 45 nationalités différentes. La collecte sera close le 25 décembre prochain.
Les membres de Dartagnans, ces mousquetaires du XXIe siècle, ont même conçu une
box à glisser au pied du sapin : une part du château à offrir à ses proches.
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