Marine Le Pen, les leçons d’une troisième défaite
Son parti réussira-t-il à prendre le leadership de
l’opposition, notamment dans le cadre des élections législatives qui vont
suivre? On peut en douter tant le système majoritaire en vigueur dans cette
élection est défavorable aux partis clivants
Paul Ackermann
Publié dimanche
24 avril 2022 à 21:55
Modifié lundi 25
avril 2022 à 09:41
https://www.letemps.ch/monde/marine-pen-lecons-dune-troisieme-defaite
Ce dimanche,
fidèle à ses habitudes, Marine Le Pen a glissé son bulletin de vote en tout
début de matinée dans son fief de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), à l’école
Jean-Jacques Rousseau, avant de rejoindre Paris et le Pavillon d’Armenonville, dans
le Bois de Boulogne, pour la soirée électorale de son parti. Si ses invités se disaient «stressés
mais confiants» à 19h («les sondages, on a vu ce que ça donnait avec Mélenchon
au premier tour, on n’y croit plus»), ils se projetaient tout de même dans
l’idée de représenter un «contre-pouvoir» et «une opposition forte», nous ont
assuré Kevin Courtois et Marion Latus, cadres du Rassemblement national (RN) de
Poitiers dans la Vienne.
Dans son
très offensif discours de défaite, Marine Le Pen n’a pas dit autre chose. Elle
voit en effet «une éclatante victoire» dans le fait que ses idées soient
élevées «à un sommet pour un deuxième tour d’élection présidentielle». «Dans
cette défaite je ne peux m’empêcher de sentir une forme d’espérance», un
message envoyé par le peuple à l’Europe et aux élites, selon celle qui a
affirmé vouloir poursuivre son «engagement pour la France et les Français avec
l’énergie, la persévérance et l’affection que vous me connaissez». «Nous serons
ceux qui ne transigerons pas avec vos intérêts», a-t-elle conclu, et «nous
lançons dès ce soir la bataille des législatives avec tous ceux qui ont la
nation au corps».
A l’heure de la
publication de cet article dimanche soir, Marine Le Pen réunissait 42% des voix
selon les estimations des résultats, qui devraient être assez proches du
résultat définitif attendu dans la nuit, et dont la validation définitive par
le Conseil constitutionnel arrivera en milieu de semaine. Ce chiffre étant
supérieur à celui de 2017 (33,90%) et surtout à celui de Jean-Marie Le Pen en
2002 (17,79%), la progression du Rassemblement National est notable. Par
ailleurs, Marine Le Pen atteignait les 21,30% de voix au premier tour en 2017,
et ne gagnait donc «que» 13 points – soit trois millions de voix – dans
l’entre-deux-tours. Cette année, elle se dirige vers une progression de 19
points, puisqu’au premier tour, elle a réuni 23% des électeurs.
Un résultat qui
pourrait cependant aussi être jugé décevant pour la candidate RN à l’issue
d’une campagne qui s’est réveillée au lendemain du premier tour, quand Emmanuel
Macron et les Français se sont rendus compte qu’elle était aux portes du
pouvoir. Depuis le 10 avril et ses sondages alarmants, le président-candidat a
été hyperactif pour rappeler le passif d’extrême droite de la candidate et de
son programme. Les médias aussi ont pointé ces éléments, qu’il s’agisse de
l’interdiction du port du voile dans l’espace public, des scénarios hasardeux
de changement de Constitution ou de la préférence nationale dans les aides
sociales, le logement et l’emploi. La question de l’europhobie des Le Pen a
également été mise sur la table, malgré les multiples démentis de la candidate
sur son envie de sortie de l’UE. Ainsi que son historique de proximité avec
Vladimir Poutine et à son hostilité vis-à-vis de l’OTAN, elle qui a affirmé
jusqu’au dernier jour dans son projet vouloir «sans crainte des sanctions
américaines, rechercher une alliance avec la Russie sur certains sujets de
fond».
La principale
question qui demeure est donc de savoir quel avenir réserve au Rassemblement
national la progression des extrêmes dans cette campagne des colères. Le parti
réussira-t-il à prendre le leadership de l’opposition, notamment dans le cadre
des élections législatives qui vont suivre? On peut en douter, tant le système majoritaire
en vigueur dans cette élection est défavorable aux partis clivants – Marine Le
Pen l’a reconnu dimanche soir. Mais Kevin Courtois et Marion Latus, nos
militants de Poitiers, y croient: «On a pas mal de territoires, dont la Vienne,
qui votent RN et énormément de communes dans tout le pays.»
Même
sentiment pour André Bonnet, candidat RN dans le Vaucluse, rencontré au grand
meeting d’Avignon et recontacté ce dimanche soir. Lui qui s’était lancé dans le
combat des législatives sans trop y croire pense désormais pouvoir être élu,
tant le député sortant de sa circonscription, appartenant au parti de la droite
traditionnelle Les Républicains, aura du mal à se défaire des boulets que sont
le score catastrophique de Valérie Pécresse au premier tour et l’alliance de
son parti avec Emmanuel Macron en perspective des législatives. Membre du RN
septentenaire présent à la soirée électorale, Jean-Pierre est moins optimiste:
«Il va falloir essayer de reprendre la main, mais si les gens ont voté Macron,
ils vont continuer et on va voir les dégâts. L’ Union européenne c’est une
catastrophe, les gens n’ont plus de quoi manger.»
Ces
élections de juin seront un vrai moment de vérité pour le Rassemblement
national, dont la normalisation et la popularité ont été impressionnantes dans
cette présidentielle mais dont les chances d’avoir assez de députés pour former
un groupe à l’Assemblée nationale restent faibles. D’autant que les cadres du
parti affirment qu’aucune alliance avec Reconquête, le mouvement d’Eric
Zemmour, n’est envisagée.
Eric
Zemmour a quant à lui appelé dimanche soir «le bloc national à s’unir» pour les
législatives tout en taclant la candidate RN: «C’est la huitième fois que la
défaite frappe le nom de Le Pen», a-il attaqué, en référence aux cinq
candidatures malheureuses de Jean-Marie Le Pen, et aux trois de sa fille
Marine. Il a promis d’être
avec son parti «à la pointe du combat pour lutter pied à pied contre l’œuvre de
déconstruction de la France» menée par Emmanuel Macron.
Compagnon de
route de Jean-Marie Le Pen, ancien vice président du Front National, Bruno
Gollnisch, que nous avons croisé à la soirée électoral de Marine Le Pen, se
fait plus consensuel. Même si il a perdu en influence depuis quelques années,
il est toujours membre du bureau national du RN. Et il nous dit qu’il a pensé à
la base d’un programme commun avec des amis de Reconquête:
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