Aux arbres, citoyens! : dans le Morvan, des résistants
achètent la forêt pour la sauver
Dun-les-Places (France) - "Il faut sauver ce qui
peut encore l'être": dans le Morvan, des citoyens rachètent des forêts
traditionnelles de chênes, hêtres et autres châtaigniers pour empêcher leur
destruction au profit d'arbres résineux, plus rentables mais
"catastrophiques" pour la biodiversité.
Par AFP
Publié le
16/09/2021 à 10:27, mis à jour à19:34
Plus rien ne se
dresse sur la colline dénudée. Au milieu de l'ancienne forêt devenue désert, la
statue de Saint Marc, où les randonneurs se reposaient à l'ombre, garde
dorénavant un cimetière de troncs couchés attendant d'être ramassés.
"C'est une
catastrophe écologique et visuelle", enrage Régis Lindeperg, de
l'association Adret Morvan qui lutte contre l'enrésinement. Dans cette parcelle
du Vieux Dun (Nièvre), une vingtaine d'hectares d'épicéas viennent d'être
coupés.
"Les
coupes rases libèrent du carbone, assèchent les sources et appauvrissent les
sols, ce qui empêche plus d'une ou deux replantations. Les sylviculteurs scient
la branche sur laquelle ils sont assis", raille M. Lindeperg.
"En un
siècle, on aura tout grillé", abonde Frédéric Beaucher, qui défend la
"vraie" forêt, de feuillus, contre les rangs d'oignon de pins
"plus proches du champ de maïs" en terme de biodiversité, selon Régis
Lindeperg.
Contre les
"planteurs de résineux", qui représentent selon lui une bonne partie
des propriétaires forestiers ou des sylviculteurs du Morvan, M. Beaucher a créé
en 2015 Le Chat Sauvage, un groupement forestier de citoyens prêts à acheter
des feuillus, et ainsi "sauver ce qui peut encore l'être". "On a maintenant 120 hectares de
forêts et plus de 500 sociétaires".
Roger Denis est
de ceux-là. En 45 ans de médecine de campagne à parcourir le Morvan, ce retraité
de 69 ans a vu "le paysage se modifier" et a investi plus de 10.000
euros dans le Chat Sauvage.
Jadis marginaux,
les résineux représentent 47% des 155.000 hectares de forêts du Morvan, selon
des chiffres de 2016 du Parc naturel régional (PNR).
Et "le
phénomène s'accélère", assure Jean-Sébastien Halliez, maire PS de Brassy
(Nièvre). "Sur la commune, il existe peut-être une dizaine de coupes
rases. Il y a une dizaine d'années, il n'y en avait qu'une de temps en
temps".
- "Une
goutte d'eau" -
Entre 2005 et
2016, 4.270 ha de feuillus ont été rasés et 10.860 ha de résineux plantés,
selon le parc régional.
C'est que le
calcul est simple, explique Tristan Susse, expert forestier: le pin Douglas,
résineux préféré dans le Morvan, "produit 400 m3 l'hectare, à 60-70 euros
le m3, le feuillu 100 m3 et pour 50 euros le m3 en moyenne".
Le cours du
Douglas a de plus quasiment doublé en deux ans, notamment en raison de la mode
des constructions en bois.
"Si on ne
fait rien, on ne voit pas ce qui empêcherait l'enrésinement total du
Morvan", avertit Sylvain Mathieu, président du PNR et vice-président PS de
Bourgogne-Franche-Comté en charge de la forêt.
"La
seule solution est une loi interdisant les coupes rases, comme en Suisse",
répond Lucienne Haèse, 80 ans et figure historique du mouvement. En 2003, cette
pionnière a créé à Autun (Saône-et-Loire) le Groupement forestier pour la
sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM), premier du genre en France.
Aujourd'hui,
le GFSFM, en charge du sud du Morvan, a 350 ha et 970 sociétaires. Avec Le Chat
Sauvage, son petit-frère dans le nord, cela fait moins de 500 ha.
"Oui,
c'est une goutte d'eau", reconnaît M. Beaucher. "Mais cela permet
d'interpeller. Et ça fonctionne: il y a une prise de conscience".
De plus en
plus de petits propriétaires vendent leurs forêts aux groupements citoyens
"pour qu'elles échappent à l'enrésinement", affirme Mme Haèse.
Et certains
forestiers assurent avoir évolué, comme la Société forestière, qui gère 6.900
ha dans le Morvan.
"Depuis
deux ans, la Société forestière n'a programmé aucune transformation de feuillus
en résineux au sein du parc du Morvan", affirme ainsi Amaury Janny,
directeur pour la région centre. La surface de monocultures de résineux va même "diminuer", selon
lui, car les replantations vont dorénavant se faire avec un "mélange de
trois essences" et non plus seulement du Douglas par exemple.

Sem comentários:
Enviar um comentário