Extrême-gauche et Islam : une alliance
contre-nature ?
Par Alexandre Devecchio
Publié le 23/07/2014 à 18:47, mis à jour le
24/07/2014 à 15:20
FIGAROVOX/ENTRETIEN - L'extrême-gauche et le
NPA n'ont pas condamné les violences lors des manifestations pro-palestiniennes
et se montrent parfois complaisants envers l'Islam radical. Laurent Bouvet
analyse ces liaisons dangereuses.
Laurent Bouvet est professeur de science
politique à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines et directeur
de l'Observatoire de la vie politique (Ovipol) à la Fondation Jean-Jaurès. Son
dernier ouvrage, Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme, est
paru aux Éditions Gallimard.
FigaroVox: Le Nouveau parti anticapitaliste
est très impliqué dans le soutien à la cause palestinienne et s'est distingué
par son soutien à une candidate voilée aux élections. Peut-on parler
d'«islamo-gauchisme»?
Laurent BOUVET: Je n'emploierai pas cette
expression. A la fois parce qu'elle relève davantage de la désignation
politique, ici péjorative d'ailleurs, que du langage de l'analyse politique, et
parce qu'il me paraît difficile d'assimiler le NPA, ses élus, ses militants,
dans leur immense majorité, à l'islamisme!
Le soutien à la cause palestinienne n'est pas,
fondamentalement, pour le NPA comme pour d'autres organisations
d'extrême-gauche, de nature religieuse, même s'il conduit, on le voit
aujourd'hui, à une mobilisation ou un combat aux côtés de personnes qui elles
ont clairement des préoccupations religieuses.
Pour ce qui est de la candidate voilée dont
vous parlez, vous faites référence aux élections régionales de 2010 en PACA. Ce
qui m'avait surpris - mais ça avait aussi été le cas au sein du NPA - c'était
les arguments invoqués en défense de cette jeune candidate par certains
responsables du parti. Ils présentaient comme une évidence qu'elle puisse se
vêtir comme elle l'entend, qu'elle agissait finalement suivant sa liberté de
conscience.
Or pour un parti qui se réclame du marxisme et
du trotskisme, ne pas comprendre qu'il y a là au moins deux éléments qui posent
problème, c'est se condamner à la contradiction idéologique. D'abord parce que
la religion est, comme l'a dit Marx, «l'opium du peuple» et que le but du
socialisme est de libérer l'humanité de son emprise ; ensuite parce que cette
idée que l'individu est totalement libre de ses choix, en conscience, me semble
difficilement compatible avec l'antilibéralisme proclamé par ailleurs, avec
force, par ce parti.
Le
soutien à la cause palestinienne n'est pas, fondamentalement, pour le NPA comme
pour d'autres organisations d'extrême-gauche, de nature religieuse
Quels sont les ressorts profonds de cette
nouvelle idéologie?
Les ressorts de ce combat commun, avec les
réserves faites plus haut sur le terme lui-même et sur son caractère
«idéologique», renvoient d'une part à l'inscription historique de la lutte
révolutionnaire dans l'internationalisme puis le tiers-mondisme, et de l'autre
au fait que les Palestiniens ont été érigés en symbole de la cause
anti-colonialiste et des nouveaux «damnés de la terre», notamment à partir des
années 1970 lorsque la défense des «minorités» sur une base identitaire et
culturelle (noirs américains, femmes, homosexuelles, régionalistes, radicaux
religieux, immigrants récents…) est devenue une nouvelle manière de défendre
les opprimés, à côté de celle, traditionnelle, de la lutte des classes.
Aujourd'hui, quarante ans plus tard, alors que
le conflit israélo-palestinien n'est pas réglé même s'il a progressivement
évolué avec la géopolitique locale et les relations internationales,
l'attachement à la cause palestinienne dans l'extrême-gauche est toujours très
fort. Et par dissociation, le rejet de tout ce qui concerne Israël également,
ce qui se traduit souvent par ce que l'on nomme aujourd'hui «antisionisme» -
même si le rapport au sionisme est assez lointain…
Sur
ce socle largement commun à gauche, certains considérations antisémites
naissent du croisement entre antisionisme et anticapitalisme.
Sur ce socle largement commun à gauche,
certains considérations antisémites naissent du croisement entre antisionisme
et anticapitalisme. On y retrouve des thèmes classiques de la «mainmise des
juifs» sur le système financier ou médiatique, de l'influence des juifs sur la
politique américaine, sur les institutions internationales… Et évidemment un
lien possible ici avec l'extrême-droite, comme on le voit notamment dans le cas
du public, jeune, qui suit des personnalités telles que Dieudonné ou Alain Soral.
Cet antisémitisme politique rejoint dans ses buts et ses représentations un
antisémitisme de nature religieuse lui, qu'on trouve dans certaines formes
d'islamisme très radical, notamment dans certains quartiers de banlieue des
grandes métropoles en France.
Ce qui se passe aujourd'hui est donc le
résultat de circonstances particulières, d'une situation qui s'envenime, et de
beaucoup de confusion intellectuelle et politique dans la conjonction de ces
différentes «forces» politiques et religieuses.
Le fait que le gauche radicale, longtemps
féministe, universaliste et anticléricale s'allie avec un islam identitaire
souvent taxé de communautarisme et d'obscurantisme à l'égard des femmes peut
apparaître paradoxal. Comment expliquez-vous cette contradiction?
C'est le résultat d'une mobilisation de plus
en plus marquée en faveur des «minorités» quelles qu'elles soient, qui est
devenue le but prioritaire de toute une partie de la gauche à côté et parfois
en lieu et place de la mobilisation pour l'émancipation sociale.
Ce qui crée, comme on le voit de manière
saillante aujourd'hui, des contradictions importantes et des conflits
insolubles au sein même de certaines organisations, au risque de leur
impuissance et de leur explosion, bien au-delà de l'extrême-gauche d'ailleurs. Car il y a un moment où les
contradictions ne sont plus tenables. Le meilleur exemple
est celui de la défense du droit des femmes ou des homosexuels par rapport à la
religion. Ce qui ne posait pas de contradiction majeure à la gauche jusqu'ici
quand il s'agissait de défendre ces droits contre l'Eglise catholique devient
plus problématique quand il s'agit de les défendre face à l'islam et à ses
principes.
On a vu récemment combien des enjeux tels que
le «mariage pour tous» ou autour du «genre» ont suscité des réactions
virulentes aussi bien dans les milieux catholiques que musulmans.
Considérer qu'on peut agréger des minorités
constituées sur des critères identitaires culturels pour en faire un électorat
cohérent et durable est l'une des erreurs politiques et électorales de la
gauche.
Traduit-elle une dérive plus large de la
gauche en général, qui avec l'antiracisme est passé de la lutte pour l'égalité
des droits à la défense des particularismes?
Considérer qu'on peut agréger des minorités
constituées sur des critères identitaires culturels pour en faire un électorat
cohérent et durable est l'une des erreurs politiques et électorales de la
gauche, toutes tendances confondues, ces dernières années.
L'autre erreur est de nature idéologique: elle
a consisté à remplacer la réflexion sur les conditions réelles, pratiques et
sociales de nos concitoyens, sur leurs besoins et leurs demandes, par de
simples pétitions de principes sinon de moulins à prière, par l'énoncé de
«valeurs» telles que le «progrès» ou la «diversité», que nombre de responsable
ont cru largement partagées par l'ensemble de ces minorités précisément.
La désillusion, dans les urnes et maintenant
dans la rue, est bien évidemment à la hauteur des illusions.
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