"C'est
culturel, de mépriser les Noirs" : Lilian Thuram dénonce un racisme
persistant dans le football
Actualité
par
Raphaël Marchal, le Jeudi 9 novembre 2023 à 18:45
Auditionné
à l'Assemblée nationale, Lilian Thuram a fait le constat d'un racisme
persistant dans le football, devant la commission d'enquête sur les
défaillances au sein des fédérations françaises de sport, ce jeudi 9 novembre.
L'ex-footballeur et champion du monde 1998 a plaidé pour l'éducation des
joueurs et des supporters, tout en appelant les fédérations et les dirigeants
de clubs à lutter plus activement contre le racisme et l'homophobie.
Le
football arrivera-t-il à se débarrasser de ses vieux démons ? Hasard du
calendrier, quelques jours après l'ouverture d'une enquête pour provocation à
la haine raciale visant des supporters lyonnais, Lilian Thuram a été
auditionné, jeudi 9 novembre, par les députés de la commission d'enquête sur
les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport
et du monde sportif.
Premier
constat délivré par l'ancien recordman de sélections de l'équipe de France de
football : en ce qui concerne le racisme, il estime que les choses n'ont
"pas beaucoup évolué" depuis ses premiers pas sur un terrain.
"Mais à l'image de la société", ajoute-t-il. Didactique tout au long
de son audition, l'ex-international français, président de la fondation Lilian
Thuram-Éducation contre le racisme, a tenté d'expliquer les raisons de cette
subsistance, alors même que l'environnement de ce sport a notoirement évolué au
cours des 30 dernières années.
l'éducation
plutôt que le "mépris"
Et un mot
est souvent revenu dans sa bouche : "éduquer". Sensibiliser les
supporters, mais aussi les éducateurs, les entraîneurs, les dirigeants et les
joueurs. "Nous sommes dans un pays où ça reste tabou de discuter de ces
sujets-là. Alors qu'il faudrait au contraire en parler", a-t-il souligné,
s'opposant aux tentatives de minorer les comportements qui gangrènent le
football, au prétexte fallacieux que les auteurs d'agissements racistes ne
seraient "pas des vrais supporters",
La
neutralité dans la dénonciation du racisme n'existe pas.
Lilian
Thuram
"C'est
un mépris très profond" pour les victimes, a-t-il assuré. Même chose quand
les dirigeants du football, à l'image de Noël Le Graët, ex-président de la
Fédération française de football, "nient" l'existence du racisme.
"C'est une violence d'entendre qu'il n'y a pas de racisme. Cela veut dire
que les personnes qui dénoncent le racisme sont des menteurs", a-t-il
développé. "Si tout en haut, le président qui doit mettre en place des
choses pour lutter contre le racisme, lui-même nie le racisme, c'est très compliqué."
Pour
Lilian Thuram, il est nécessaire de comprendre le racisme et ses racines pour
le combattre efficacement. "C'est culturel, de mépriser les Noirs",
a-t-il soutenu. "Si les personnes noires sont stigmatisées et violentées
dans un stade, et si la majorité des personnes blanches se sent déconnectée,
cela veut dire qu'on est encore dans ces catégories liées à la couleur de la
peau", a-t-il considéré, appelant à déconstruire cette catégorisation.
Sans cette éducation, la lutte contre le racisme restera superficielle, et donc
vouée à l'inefficacité. "Vous pouvez être une personne noire, subir le
racisme et ne rien comprendre au racisme", a d'ailleurs jugé l'ancien
joueur de la Juventus de Turin.
"Si
vous dites 'non au racisme, non à l'homophobie', c'est très bien, il faut le
faire, mais ça ne va pas avancer très vite", a poursuivi l'ancien
international, jugeant que cet affichage, sans conscience de ce qu'est le
racisme, ne pourra répondre au problème. A contrario, il encourage les clubs,
les fédérations, les dirigeants, à aller voir les victimes pour leur dire
"nous sommes de votre côté", et à parler ouvertement des problèmes
rencontrés. "Reconnaître le racisme, c'est dire aux personnes qui le subissent
: nous sommes conscients de ce que vous vivez et vous avez le droit de dénoncer
le racisme."
"Le
foot, c'est un business"
Alors
qu'un débat existe quant à l'opportunité d'arrêter les matchs en cas de
survenue d'un agissement raciste, Lilian Thuram a fait mine de s'interroger :
"Qui veut vraiment que les matches s'arrêtent ? Le foot c'est un
business." Avant de témoigner de la violence ressentie par un joueur visé
par des cris de singe ou des jets de banane. Et de décrire des situations
ubuesques où des victimes, révoltées d'être ainsi agressées, risquaient
l'expulsion. "La société ne veut pas être confrontée au racisme. Donc il
faut éliminer celui qui subit le racisme pour continuer", a-t-il déploré.
L'ancien
joueur passé par le FC Barcelone a souligné la symbolique de l'arrêt d'un
match. "Quand vous êtes une personne blanche, que le match s'arrête ou
pas, ce n'est pas très grave. Mais si vous êtes une famille noire, devant la
télévision, et que le match s'arrête, vous êtes soulagés. Enfin, le match
s'arrête", a-t-il témoigné.
Questionné
par Stéphane Buchou (Renaissance) sur le rôle que pourraient jouer les grands
noms du football, comme Kylian Mbappé, en prenant position fermement contre
l'homophobie et le racisme, Lilian Thuram s'est quelque peu agacé : "C'est
d'une grande hypocrisie de dire que ce sont les joueurs qui ont la solution.
[...] La responsabilité de l'arrêt des
matchs ne peut pas être la responsabilité d'un seul joueur." Pour l'ancien
défenseur, d'autres acteurs seraient plus à même d'intervenir, comme l'arbitre,
les présidents de club, les chaînes de télévision. "C'est à la grande
majorité des joueurs blancs qu'il faut demander pourquoi ils ne disent rien,
pourquoi ils continuent à jouer."
Lilian
Thuram a également révélé la pression qui pouvait peser sur les joueurs qui
commençaient à parler, indiquant que la dénonciation du racisme pouvait in fine
se retourner contre eux. "Quand j'ai commencé à prendre position, des
dirigeants, des entraîneurs sont venus me voir pour me dire d'arrêter de parler
de ça", a-t-il déclaré. "Si vous relevez trop souvent les actes
racistes, vous finissez par devenir le problème."
Le fléau
de l'homophobie
Lilian
Thuram est également revenu sur l'un des autres fléaux qui pourrissent le monde
du football, à savoir l'homophobie, en dehors et sur les terrains.
"Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte de la violence de leurs
propos, car c'est ancré. On a toujours fait comme ça. D'où l'importance de
l'éducation", a-t-il relevé.
Avant de
revenir sur les polémiques ayant entouré le port, une fois par an, d'un maillot
floqué aux couleurs de l'arc-en-ciel par les équipes de Ligue 1, à l'occasion
de la journée nationale de lutte contre l'homophobie. Plusieurs joueurs avaient
notamment refusé de le porter, dont l'ex-milieu de terrain du Paris
Saint-Germain, Idrissa Gueye. "Les joueurs participent, mais ne
connaissent pas la gravité de l'homophobie. Si vous demandez à des gens de
participer à un truc qu'ils ne comprennent pas, ils ne saisissent pas la
gravité des choses", a-t-il souligné, fustigeant notamment la sortie
"surréaliste" d'un entraîneur qui s'était plaint de devoir se passer
de plusieurs joueurs à quelques matchs de la fin de saison, "alors que le
maintien se joue à un ou deux points".
"Le
mec te parle d'un point ou deux, alors qu'il y a des gens qui sont en prisons,
[...] des enfants qui se suicident. C'est d'une telle violence ! Il ne sait pas
ce que c'est l'homophobie. Or, c'est ça qu'il faut dire aux gens", s'est
ému Lilian Thuram, appelant à la mise en place de modules obligatoires de
sensibilisation au racisme, au sexisme, à l'homophobie auprès des jeunes
joueurs, pour les éduquer tout au long et dès le début de de leur parcours
sportif. Et le champion du monde 98 de marteler : "Comprendre, çe ne prend
pas forcément longtemps. Mais quand on comprend, c'est pour la vie."

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