Le Monde.fr avec AFP | 04.01.2014 / http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/04/la-famille-klarsfeld-appelle-a-manifester-mercredi-a-nantes-contre-le-spectacle-de-dieudonne_4342929_3224.html
La famille Klarsfeld, au nom des fils et filles des déportés
juifs de France, a appelé vendredi 3 janvier à manifester mercredi à Nantes
pour demander l'interdiction du spectacle que Dieudonné doit y donner le
lendemain, après ses dérapages antisémites répétés.
Le couple de « chasseurs de nazis », Serge et Beate
Klarsfeld, et leur fils Arno seront eux-mêmes présents mercredi à 18 heures
devant le Zénith de Nantes. « On va à Nantes tous les trois », a affirmé Arno
Klarsfeld, qui avait déjà appelé les Français à manifester contre tous les
spectacles de Dieudonné, après avoir été lui-même violemment pris à partie dans
une vidéo postée mardi sur le compte Youtube de l'humoriste controversé : «
Arno (…) à jouer aux cons, à menacer tout le monde, tu vas finir par te faire
défoncer ta petite gueule de petite chatte d'appartement. »
« Il est légitime et normal quand quelqu'un tient des
discours antisémites et dit que pas assez de Juifs ont été gazés dans les
chambres à gaz, que des gens se lèvent pour manifester. » « Les gens qui vont
voir Dieudonné y vont pour entendre casser du juif, il fédère les antisémites
de tous bords, qu'ils soient islamistes, d'ultragauche ou du noyau de l'extrême
droite », a-t-il encore estimé. Ses spectacles sont donc des meetings
politiques à caractère antisémite. »
Plusieurs maires des villes se trouvant sur le parcours de
la tournée qu'il commence début janvier ont demandé que ses spectacles soient
interdits : outre Nantes, Marseille, Limoges en début de semaine, puis Nancy et
Metz jeudi ou encore Tours vendredi. En début de semaine à Nantes, entre 4 500
et 5 000 places avaient été vendues sur les 6 000 disponibles.
AMENDES IMPAYÉES
Dans le viseur du ministre de l'intérieur, Manuel Valls, qui
étudie la possibilité de faire interdire ses spectacles depuis un nouveau
dérapage antisémite contre le journaliste Patrick Cohen, Dieudonné a plusieurs
fois été condamné pour des propos jugés antisémites. « Je remercie Manuel Valls
pour ses prises de position », a indiqué M. Klarsfeld.
Dieudonné doit à l'Etat 65 000 euros issus notamment
d'amendes pour propos racistes ou antisémites, dont plus de 37 000 euros en
condamnations définitives, qu'il n'a pas réglées. M. Valls affirmait vendredi
que « tous les services de l'Etat » devaient se mobiliser pour le contraindre à
payer. « L'organisation frauduleuse d'insolvabilité est punie par la loi », a
rappelé pour sa part la ministre de la justice, Christiane Taubira, dans une
tribune publiée par le site Huffington Post.
« Sanctionner avec efficacité est indispensable mais ne
suffira pas. Pas lorsqu'un pitoyable bouffon spécule davantage sur les
dividendes d'un scandale que sur les risques judiciaires », a aussi prévenu Mme
Taubira. « Ces provocations putrides testent la société, sa santé mentale, sa
solidité éthique, sa vigilance. Il nous faut y répondre, car la démocratie ne
peut se découvrir impuissante face à des périls qui la menacent intrinsèquement
», écrit la ministre.
Christiane Taubira condamne les « pitreries obscènes
d'un antisémite multirécidiviste »
Le Monde.fr avec AFP | 02.01.2014 / http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/02/fausse-alerte-a-la-bombe-au-theatre-de-dieudonne-a-paris_4342477_3224.html
« Ebranler les hommes. » La ministre de la justice,
Christiane Taubira, a choisi une citation d'Albert Hirschman – l'économiste,
mort l'an dernier, avait fui le national-socialisme en Allemagne dans les
années 1930 – pour évoquer son sentiment
sur l'affaire Dieudonné. Dans une tribune publiée sur le Huffington Post,
vendredi 3 janvier, la ministre de la justice condamne fermement les «
pitreries obscènes d'un antisémite multirécidiviste ».
Sans jamais citer le nom de l'humoriste, elle se demande
comment « trouver quelque plaisir à se faire complice, après coup, de ce crime
contre l'humanité » qu'est la destruction des juifs d'Europe, visant également
ceux qui rient de concert, dans les salles de spectacle. Pour la ministre de la
justice, il ne s'agit pas moins que d'« une nouvelle épreuve pour la démocratie
». Car si « la liberté d'expression doit demeurer le principe, ce principe ne
peut servir de paravent à des ignominies ».
Comment agir, alors ? Alors que le ministre de l'intérieur
se penche sur la périlleuse question de l'interdiction des spectacles,
Christiane Taubira défend ses troupes. « La justice n'a pas failli »,
écrit-elle. Pour preuve, les multiples condamnations de Dieudonné, notamment
pour provocation à la haine et à la discrimination raciale. Elle revient
néanmoins sur la question de l'exécution de ces condamnations, l'humoriste
controversé ne payant ni les amendes ni les dommages et intérêts. «
L'organisation frauduleuse d'insolvabilité est punie par la loi, aux termes de
l'article 314-7 du code pénal ; et si elle est avérée, elle doit faire l'objet
des diligences nécessaires », précise Mme Taubira.
Pour la ministre, si « sanctionner avec efficacité est
indispensable » dans cette affaire, cela ne suffit pas. « Pas lorsqu'un
pitoyable bouffon spécule davantage sur les dividendes d'un scandale que sur
les risques judiciaires. » Pour lutter contre ces « provocations putrides [qui]
testent la société », Taubira demande à la démocratie et à chacun de ses citoyens
de résister.
Les démineurs du laboratoire de la préfecture de police de
Paris se sont rendus au Théâtre de la Main d'or, propriété de l'humoriste
Dieudonné M'bala M'bala, après qu'une alerte à la bombe leur a été signalée
jeudi 2 janvier à 17 h 20, selon les informations du journal Le Parisien. Une
fois arrivés dans ce théâtre du 11e arrondissement de Paris, dans lequel
l'humoriste doit se produire ce soir, les démineurs n'ont rien décelé.
Toujours selon Le Parisien, l'appel aurait été passé d'une
cabine téléphonique, et Dieudonné M'bala M'bala, qui se trouvait dans
l'établissement au moment des faits, n'aurait pas souhaité porter plainte.
Les appels à manifester ou à interdire les spectacles de
l'humoriste français, qui commence une tournée à Nantes le 9 janvier, se sont
par ailleurs multipliés au cours de la journée.
Deux nouvelles villes
réclament l'interdiction des spectacles
Deux villes lorraines, Nancy et Metz, ont réclamé jeudi
l'interdiction des spectacles du comique français prévus respectivement les 18
et 19 janvier.
Le maire de Nancy, André Rossinot (UDI), a réclamé que «
l'Etat prenne les dispositions pour l'interdiction » de la représentation de
l'humoriste, estimant qu'« il s'apparente plus à de la propagande qu'à un
spectacle ». Dans un communiqué, le maire affirme son attachement à la liberté
d'expression, « une donnée fondamentale de notre société », mais lorsque «
cette expression qui se doit d'être libre se transforme en une propagande
raciste, xénophobe et antisémite, il y a lieu de réagir en préservant la
République des atteintes qui sont portées à ses valeurs ».
A Metz, l'adjoint à la culture, Antoine Fonté (PS), a dit
qu'il allait « demander au préfet d'examiner tous les éléments juridiques pour
l'interdiction du lieu et du spectacle ».
Dans le viseur de Manuel
Valls
Invité sur Europe 1 vendredi matin, le ministre de
l'intérieur, Manuel Valls, a apporté son soutien aux maires qui « s'engagent
dans ce combat, parce qu'il s'agit là de lutter contre la diffusion de
l'antisémitisme, du racisme, du négationnisme, des choses insupportables,
condamnées par la loi ». Concédant que « les voies juridiques » n'étaient « pas
simples » pour parvenir à interdire le spectacle, il a affirmé avoir « demandé
aux préfets d'examiner, cas par cas, la situation des spectacles pour pouvoir
les interdire, en fonction notamment du trouble à l'ordre public ».
« Tous les services de l'Etat doivent être très déterminés
», a également affirmé le ministre de l'intérieur, qui est revenu sur la
question de l'insolvabilité de Dieudonné qui ne paye pas ses amendes et
dommages et intérêts.
« Je sais que je peux compter sur Christiane Taubira pour
mener ce combat pour faire en sorte que Dieudonné, qui tente d'organiser son
insolvabilité pour s'affranchir de sanctions pénales et ne pas payer les
amendes, soit obligé de payer. »
L'avocat Arno Klarsfeld
réédite son appel à manifester
Arno Klarsfeld, fils du chasseur de nazis Serge Klarsfeld, a
de son côté de nouveau appelé les Français à manifester contre les spectacles
de Dieudonné : « En tant que membre des Fils et filles des déportés juifs de
France, association présidée par mon père, j'appelle les citoyens, juifs et non
juifs, à manifester leur indignation, ce qui est un droit constitutionnel, afin
de dénoncer la haine antisémite et qu'il ne soit pas permis dans la France de
2014 de dire que les chambres à gaz n'ont pas gazé assez de juifs », a-t-il
expliqué à l'Agence France-presse.
Dieudonné M'bala M'bala avait pris à partie M. Klarsfeld dans
une vidéo postée mardi soir sur son compte Youtube : « Arno (...) à jouer aux
cons, à menacer tout le monde, tu vas finir par te faire défoncer ta petite
gueule de petite chatte d'appartement. Sois responsable. On doit montrer
l'exemple. » L'avocat, qui s'était déjà exprimé publiquement le 27 décembre, a
également tweeté un résumé des attaques à son encontre publiées sur le blog du
journaliste Jean-Marc Morandini.
Le parquet de Paris ouvre une
enquête
A Paris, le parquet a ouvert une enquête après une plainte
déposée mardi par Dieudonné M'bala M'bala au commissariat du 11e arrondissement
pour « menaces réitérées de destruction du Théâtre de la Main d'or », où il se
produit à Paris, et « menaces de violences ».
L'enquête a été confiée à la brigade de répression de la
délinquance contre la personne (BRDP), déjà chargée depuis lundi d'une enquête
ouverte par le parquet de Paris sur des propos tenus par Dieudonné M'bala M'bala
à l'encontre du journaliste de France Inter Patrick Cohen.
Un membre des Jeunes socialistes démissionne pour avoir
soutenu l'humoriste
Dans les Pyrénées-Orientales, le dirigeant du Mouvement des
jeunes socialistes a été contraint de démissionner après avoir soutenu
Dieudonné M'bala M'bala au nom de la liberté d'expression. Anthony Cortès,
animateur départemental du MJS depuis août 2013, était intervenu il y a
quelques jours sur Twitter pour exprimer sa « honte de [son] ministre de
l'intérieur », Manuel Valls, et sa volonté de voir interdits les spectacles de
l'humoriste. Le jeune homme, qui a depuis effacé ses commentaires, dit avoir «
juste eu une réaction épidermique » et avoir « voulu défendre la liberté
d'expression ». Mais il a été « mal compris », pense-t-il.
Governo francês tenta travar humorista acusado de
anti-semitismo
SOFIA LORENA 30/12/2013 – in Público
Inquérito aberto contra Dieudonné, o pai do quenelle, um
gesto que não pára de dar polémica, por “incitação ao ódio racional”.
Quenelle, ou glissant des quenelles, como diz o seu
inventor, Dieudonné M’bala M’bala, é um gesto, anti-sistema, segundo o
humorista, anti-semita, segundo o Governo francês e parte dos seus seguidores,
onde se incluem, por exemplo, membros do partido de extrema-direita Frente
Nacional. A procuradoria de Paris abriu esta segunda-feira um inquérito
preliminar por “incitação ao ódio racial” contra Dieudonné – o motivo não é o
quenelle, mas podia ser.
Dieudonné é conhecido há muitos anos – nos anos 1990, e
durante sete anos, teve um duo com um artista judeu, Eli Semour –, o polémico
quenelle é mais recente, assim como os seus problemas com a justiça. Enfim, ele
já é um pária desde que, em 2003, surgiu com alguns adereços de judeu
ultra-ortodoxo e um blusão militar num monólogo que acabava com a saudação
nazi.
O quenelle popularizou-se depressa. O próprio Dieudonné
estima que mais de 9000 pessoas se tenham fotografado a fazer o quenelle nos
últimos meses (todas as fotos são naturalmente publicadas na Internet); algumas
são personalidades públicas e algumas pediram desculpa depois de saberem da
conotação anti-semita do gesto. O último foi o futebolista Nicolas Anelka, que
no sábado festejou assim o segundo golo do West Bromwich contra o West Ham,
“uma dedicatória especial ao meu amigo comediante Dieudonné”, explicou no
Twitter.
O comediante diz que se trata de “um gesto de insubmissão ao
sistema”. O presidente da Liga Internacional Contra o Racismo e o
Anti-semitismo, Alain Jakubowicz, descreve-o como uma “saudação nazi invertida,
o que significa a sodomização das vítimas” do Holocausto. Quenelles são uns
bolinhos fritos, de peixe ou de carne. O gesto, na verdade, assemelha-se
bastante ao tradicional manguito. Ouvido pelo Libération, o politólogo
Jean-Yves Camus defende que Dieudonné une “um movimento transversal e
anti-sistema, que tem no anti-semitismo a sua coluna vertebral” e que “recusa
uma ordem mundial dominada pelo eixo Washington-Telavive”.
Em Setembro, já a polémica tinha estalado por causa de dois
militares que decidiram fotografar-se a fazer o quenelle diante de uma sinagoga
no centro de Paris. “Ofenderam o uniforme e os valores do Exército”, disse na
altura o ministro da Defesa, Jean-Yves Le Drian. Dois meses depois, Dieudonné
foi condenado a pagar 28 mil euros por difamação, injúria e provocação ao ódio
e à descriminação racional por causa de uma canção.
Dieudonné tornou-se demasiado popular. E o Governo francês
decidiu que não o pode tolerar e quer tentar proibir os seus espectáculos, o
que não se avizinha tarefa fácil. Já em 2010, o Conselho de Estado confirmou o
direito do humorista a actuar numa localidade – a autarquia tentou impedir a
actuação.
O processo agora iniciado apoia-se num vídeo gravado por um
espectador e transmitido depois na France 2 onde Dieudonné ataca um jornalista
da rádio pública France Inter, Patrick Cohen. “Estás a ver, se o vento muda,
não tenho a certeza se ele tem tempo para fazer a mala. Quando o oiço falar,
Patrick Cohen, penso, estás a ver, as câmaras de gás… Que pena.”
Os ataques do humorista contra Cohen são frequentes desde
que o jornalista perguntou ao apresentador de um programa de televisão se ele
tencionava continuar a convidar “personalidades como Tariq Ramadan, Dieudonné,
Alain Soral”. Ramadan é um académico muçulmano, suíço de origem egípcia,
habituado a enfrentar suspeitas (é tratado como ocidental pelos árabes e muitos
ocidentais acusam-no de ter uma agenda escondida de islamização da Europa).
Soral, um ensaísta que diz estar na avant-garde política da sociedade francesa,
é criticado pelo seu anti-semitismo e considerado ideólogo da extrema-direita.
Também ele fez o quenelle, escolheu o Memorial do Holocausto em Berlim.
Dieudonné, filho de um camaronês e de uma francesa da
Bretanha, defende-se sempre com a liberdade de expressão. Nos últimos anos
aproximou-se do antigo líder da Frente Nacional, Jean-Marie Le Pen, padrinho do
seu quarto filho, nascido em 2008. Em 2009, o humorista quis candidatar-se ao
Parlamento Europeu à frente de uma lista assumidamente anti-sionista.
O processo agora iniciado tem grandes probabilidades de
chocar com a Constituição Francesa ou com a Convenção Europeia dos Direitos
Humanos. O ministro do Interior, Manuel Valls, diz-se decidido a “romper a
mecânica do ódio” e quer “proibir reuniões públicas que já não pertencem à
dimensão criativa”, querendo com isto dizer que vai defender o risco de provocação
de distúrbios públicos dos espectáculos de Dieudonné.
Face à Dieudonné, appliquer la loi, rien que la loi
LE MONDE | 31.12.2013 /
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/12/31/face-a-dieudonne-appliquer-la-loi-rien-que-la-loi_4341573_3224.html
En cette fin d'année 2013, un air nauséabond flotte sur la
société française fracturée par la crise. Après les attaques racistes contre la
garde des sceaux, Christiane Taubira, voici qu'un « amuseur », Dieudonné M'bala
M'bala, condamné neuf fois depuis 2006 pour diffamation, injures et provocation
à la haine raciale, fait rire son public en proférant des propos violemment
antisémites contre Patrick Cohen, journaliste à France Inter. La liberté
d'expression peut-elle tolérer de tels discours de haine ? La liberté de
réunion, garantie par la loi du 30 juin 1881, peut-elle autoriser un spectacle
« humoristique » qui balaie toutes les transgressions et met en doute la Shoah
?
A ces questions, le ministre de l'intérieur répond par la
négative. Avec le soutien de François Hollande, Manuel Valls s'apprête à
adresser des instructions aux préfets en vue d'« interdire des réunions
publiques qui n'appartiennent plus à la dimension créative, mais contribuent, à
chaque nouvelle représentation, à accroître les risques de troubles à l'ordre
public ». Pour M. Valls, Dieudonné est « antisémite et raciste » et « il faut
casser cette mécanique de haine ».
Si on veut transformer le paria en héros, le victimiser, en
faire une sorte de martyr, il faut interdire les spectacles de M. M'bala
M'bala. Mais ce serait une grave erreur. Car, sur la forme, la procédure est
vouée à l'échec. La jurisprudence du Conseil d'Etat montre qu'il est quasiment
impossible d'interdire des réunions dispensées par la loi d'autorisation
préalable. Le contrôle sur d'éventuelles infractions pénales ne peut s'exercer
qu'a posteriori et non a priori. De même, la notion de « troubles à l'ordre
public » est difficile à manier. Et, là encore, le Conseil d'Etat estime que
c'est aux pouvoirs publics de prendre préventivement les « mesures appropriées
Derrière l'affaire Dieudonné, l'essor d'un public «
antisystème »
LE MONDE | 31.12.2013 /
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/31/affaire-dieudonne-l-essor-d-un-public-antisysteme_4341646_3232.html
Les attaques récentes visant la garde des sceaux signaient
le retour du racisme colonial archaïque, mais dont les ressorts n'ont pas
entièrement disparu. Voici que l'antisémitisme, avec Dieudonné, s'installe dans
l'actualité, en même temps que le geste de la « quenelle », vague synthèse du
salut nazi et du bras d'honneur, de la haine des juifs et du rejet du système.
Laissons ici l'histoire personnelle de Dieudonné, dont on
dira qu'elle relève d'un processus qu'il a enclenché, dans lequel ses premières
outrances ont suscité des réactions le marginalisant tout en le radicalisant
encore plus. L'important est dans ses publics.
UN PUBLIC SENSIBLE À LA DÉMAGOGIE
Ceux qui vont à ses spectacles ne se limitent pas à
Jean-Marie Le Pen, président d'honneur d'un parti dont sa fille voudrait nous
faire croire qu'il est devenu respectable, au négationniste Robert Faurisson,
que Dieudonné a fait acclamer au Zénith, en 2008, ou au seul intellectuel
potable dont puisse se réclamer l'extrême droite, Alain de Benoist. Ce public
est aussi sensible à la démagogie antisystémique de Dieudonné qu'il est
perméable à sa haine des juifs et d'Israël.
Celle-ci tranche, en partie au moins, avec l'antisémitisme
classique qui s'était révélé et développé avec l'affaire Dreyfus et s'est
maintenu actif jusqu'au milieu du XXe siècle. Durant cette période a prospéré
une thématique au cœur de laquelle les juifs étaient accusés de miner la
culture et la nation françaises. A partir des années 1980, des thèmes inédits
sont apparus, ou ont trouvé une nouvelle jeunesse : la Shoah a été niée ou
accusée d'être à l'origine d'un juteux business, et l'antisionisme s'est plus
ou moins confondu avec la haine des juifs.
Des esprits faux ont cru alors possible d'associer dans un
même opprobre la gauche progressiste, pro-palestinienne parfois à outrance il
est vrai, et l'islamisme, parlant d'islamo-progressisme pour qualifier le
nouveau malheur.
En fait, c'est surtout parmi ceux qui s'identifient à la
cause palestinienne parce qu'ils sont eux-mêmes d'origine maghrébine, ou à
l'islam radical, en butte à Israël et aux Etats-Unis, que s'est développé le
nouvel antisémitisme, tandis que l'ancien régressait. Et c'est là où on trouve
Dieudonné.
UN PUBLIC VIRTUEL
Cet avatar de la haine des juifs n'a rien à voir avec la
défense de la culture et de la nation – qui irait dire de Dieudonné qu'il
incarne l'une ou l'autre ? Il est lourd avec lui d'une rage qui n'a rien de
nationaliste, il porte plutôt la haine d'une France puissance coloniale – le
lien avec les juifs est ici qu'ils voudraient, selon Dieudonné, disposer du
monopole de la souffrance historique, au détriment des Noirs. Enfin, Dieudonné
parle en termes vaguement sociaux, au nom de ceux qui pâtissent de l'exclusion
ou de la précarité.
Comment fait-il pour plaire à l'extrême droite nationaliste
autant qu'aux populations issues de l'immigration récente (maghrébine,
subsaharienne), sans parler des Antillais – qui ne constituent pas spécialement
le fonds de commerce du FN ? Le paradoxe se résout grâce à l'antisémitisme, qui
subsume les différences et rapproche des personnes que tout sépare par
ailleurs.
Lire aussi (édition abonnés) le point de vue l'anthropologue
Jean-Loup Amselle : Dieudonné fait ressurgir un antisémitisme postcolonial
Dieudonné a aussi un public virtuel, qui le suit sur
Internet et les réseaux sociaux. Les technologies de l'information et de la
communication ont créé un espace qui n'est ni celui du privé, où les
conversations se limitent à quelques personnes tout au plus, où tout peut être
dit, pourvu, précisément, de rester au sein de cette sphère, ni celui de la vie
publique classique et de ses médias.
Internet, le téléphone mobile dessinent un espace singulier,
intermédiaire entre le public et le privé. Et dans cette zone sans frontières
qui exerce une pression constante dans l'espace public et la sphère privée, la
communication est instantanée, massive, participative, tout le monde peut
exister, s'exprimer.
Une culture se développe dans ce contexte, insistant sur la
liberté d'expression – interdire, c'est aller à l'encontre de la révolution
culturelle qu'apporte le numérique. Ce qui est favorable aux discours
émancipateurs, mais aussi à ceux de la haine.
LES RÉSEAUX SOCIAUX PEUVENT AUSSI SERVIR LE MAL
On a souvent insisté sur le caractère bénéfique de cette
évolution, sur le rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes ou les
luttes d'« indignés » : force est de constater que la technologie peut aussi
servir le mal. Dieudonné en bénéficie pleinement et y trouve une ressource
considérable.
Public réel et public virtuel peuvent-ils se fondre ? La
comparaison, là aussi, avec les mouvements contestataires récents est édifiante
: c'est en se retrouvant, grâce à Internet, sur des places, dans des lieux
concrets, que ces acteurs ont pris leur essor.
Ce qui justifie les efforts politiques et institutionnels
pour rendre impossibles les spectacles de Dieudonné, et donc la fusion de ses
deux publics, mais ne règle pas tout. Si l'on souhaite empêcher la diffusion de
l'antisémitisme, telle que la promeut Dieudonné, il faut agir au niveau
d'Internet et des technologies de communication moderne.
Dans les deux cas, on s'expose à en faire un martyr, mais
aussi à aller à contre-courant de la culture de la liberté d'expression propre
aux évolutions contemporaines. Et dans les deux cas, on corrige les effets sans
aller au fond, lancinant, au fait qu'une société comme la nôtre puisse laisser
place à un racisme archaïque ou à un antisémitisme renouvelé.
LE MONDE | 31.12.2013 / http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/12/31/interdire-un-spectacle-ce-qui-est-possible-ou-pas_4341562_823448.html
Jonathan Parienté et Soren Seelow
Dieudonné pourra-t-il se produire dans la dizaine de villes
inscrites au programme de sa tournée en ce début d'année 2014 ? Les maires de
Marseille, Nantes, Limoges et Toulouse ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils ne
souhaitaient pas le voir monter sur scène chez eux. Le maire UMP de Marseille,
Jean-Claude Gaudin, et son homologue socialiste de Nantes, Patrick Rimbert, ont
même expressément demandé à leur préfecture d'examiner l'interdiction de ses
représentations, prétextant d'éventuels « troubles à l'ordre public ».
Ces édiles se placent dans la droite ligne de Manuel Valls
qui, le 28 décembre 2013, a
annoncé l'envoi d'instructions aux préfets leur demandant « d'apprécier si le
risque de trouble est caractérisé et justifie d'interdire la représentation »
des spectacles de Dieudonné M'Bala M'Bala, poursuivi pour « incitation à la
haine raciale » après ses propos visant le journaliste de France Inter Patrick
Cohen. Maires et préfets risquent pourtant de se trouver bien démunis pour
empêcher l'inventeur de l'indigeste « quenelle » de se produire chez eux.
« LES RÉUNIONS PUBLIQUES SONT LIBRES »
La liberté de réunion est régie par la loi du 30 juin 1881,
une des plus libérales – avec celle encadrant la liberté d'expression – parmi
les modes d'organisation des libertés publiques. Il y est précisé que « les
réunions publiques sont libres » et qu'« elles peuvent avoir lieu sans autorisation
préalable ». Autrement dit, en droit français, « on se réunit librement, et le
contrôle intervient a posteriori, en cas d'infraction pénale », explique sur
son blog la professeur de droit public Roseline Letteron.
Toutefois, selon la loi, il incombe aux organisateurs d'«
empêcher toute infraction aux lois, d'interdire tout discours contraire à
l'ordre public et aux bonnes moeurs, ou contenant provocation à un acte
qualifié crime ou délit ». En clair, les pouvoirs publics peuvent, pour
interdire un spectacle, invoquer un « trouble à l'ordre public », comme l'a
fait M. Valls, ou dénoncer le contenu illégal dudit spectacle.
Dans le premier cas, le plus courant, la jurisprudence est
très claire. En 1933, le maire de Nevers avait voulu interdire une conférence
en raison des protestations de syndicats d'instituteurs qui s'estimaient
ridiculisés par le conférencier, un certain René Benjamin. Le Conseil d'Etat
avait annulé l'interdiction, considérant que le « maintien de l'ordre public
[devait] être mis en balance avec le nécessaire respect de la liberté de
réunion ». Cet arrêt – l'arrêt Benjamin – fait toujours jurisprudence et a été
complété depuis.
TROUBLES À L'ORDRE PUBLIC
En 2010, le maire d'Orvault, près de Nantes, a tenté
d'annuler un spectacle de Dieudonné, estimant que « les prises de position
personnelles de l'artiste, notamment à l'égard de la communauté juive et par
ailleurs sanctionnées par les tribunaux », ne pouvaient « être dissociées de sa
prestation », qui était donc « génératrice de troubles à l'ordre public ».
L'édile n'a eu gain de cause ni auprès du tribunal administratif ni devant le
Conseil d'Etat. La plus haute juridiction administrative a considéré que ses
allégations n'étaient « étayées par aucun élément, en dehors d'une référence
d'ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste
ont pu susciter ».
Le Conseil d'Etat va plus loin. Il estime qu'en cas de
risques de troubles, il revient aux pouvoirs publics d'appliquer les « mesures
appropriées » pour assurer la sécurité. En d'autres termes, explique Me Gilles
Devers, avocat spécialiste des libertés fondamentales, l'interdiction d'un
spectacle de Dieudonné ne pourrait intervenir « que si la police n'était pas
capable d'assurer l'ordre public, ce qui ne saurait se justifier dans le cas
d'une salle de spectacle fermée ».
S'agissant du contenu du spectacle à proprement parler, il
semble d'autant plus hasardeux d'établir a priori le caractère illicite d'un
show qui se présente comme humoristique. Dans son arrêt de 2010 à propos de la
représentation d'Orvault, le Conseil d'Etat estime ainsi qu'« il n'est pas
soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l'ordre
public ou se heurterait à des dispositions pénales ». La Cour européenne des
droits de l'homme établit par ailleurs la distinction entre « les incitations
réelles et sérieuses à l'extrémisme » et le droit des personnes à s'exprimer
librement, y compris au risque de « heurter, choquer ou inquiéter l'État ou une
fraction quelconque de la population ».
Fort de cette jurisprudence, Dieudonné a volé de victoires
en victoires face aux élus qui l'avaient déclaré persona non grata. « Nous
avons dû avoir entre dix et quinze recours contre nous à ce jour. Nous les
avons tous gagnés », rappelait samedi au Monde l'avocat de l'humoriste, Me
Jacques Verdier. « Nous attaquerons tout arrêté qui sera prononcé et nous
gagnerons, comme nous l'avons fait jusque-là », a-t-il promis.
M. Valls n'a pas précisé quelle serait la teneur de la
circulaire qu'il allait transmettre aux préfets. La préfecture de
Loire-Atlantique affirme attendre les « instructions » ministérielles. En
attendant, les pétitions pour (et contre) l'« humoriste » engrangent les
signatures, le débat se tend et les idées qu'entendent combattre les
contempteurs de Dieudonné sont plus audibles que jamais.
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