domingo, 5 de janeiro de 2014

Ressurgimento do anti-semitismo em França. O caso Dieudonné


La famille Klarsfeld appelle à manifester mercredi à Nantes contre le spectacle de Dieudonné

La famille Klarsfeld, au nom des fils et filles des déportés juifs de France, a appelé vendredi 3 janvier à manifester mercredi à Nantes pour demander l'interdiction du spectacle que Dieudonné doit y donner le lendemain, après ses dérapages antisémites répétés.
Le couple de « chasseurs de nazis », Serge et Beate Klarsfeld, et leur fils Arno seront eux-mêmes présents mercredi à 18 heures devant le Zénith de Nantes. « On va à Nantes tous les trois », a affirmé Arno Klarsfeld, qui avait déjà appelé les Français à manifester contre tous les spectacles de Dieudonné, après avoir été lui-même violemment pris à partie dans une vidéo postée mardi sur le compte Youtube de l'humoriste controversé : « Arno (…) à jouer aux cons, à menacer tout le monde, tu vas finir par te faire défoncer ta petite gueule de petite chatte d'appartement. »

« Il est légitime et normal quand quelqu'un tient des discours antisémites et dit que pas assez de Juifs ont été gazés dans les chambres à gaz, que des gens se lèvent pour manifester. » « Les gens qui vont voir Dieudonné y vont pour entendre casser du juif, il fédère les antisémites de tous bords, qu'ils soient islamistes, d'ultragauche ou du noyau de l'extrême droite », a-t-il encore estimé. Ses spectacles sont donc des meetings politiques à caractère antisémite. »

Plusieurs maires des villes se trouvant sur le parcours de la tournée qu'il commence début janvier ont demandé que ses spectacles soient interdits : outre Nantes, Marseille, Limoges en début de semaine, puis Nancy et Metz jeudi ou encore Tours vendredi. En début de semaine à Nantes, entre 4 500 et 5 000 places avaient été vendues sur les 6 000 disponibles.

AMENDES IMPAYÉES

Dans le viseur du ministre de l'intérieur, Manuel Valls, qui étudie la possibilité de faire interdire ses spectacles depuis un nouveau dérapage antisémite contre le journaliste Patrick Cohen, Dieudonné a plusieurs fois été condamné pour des propos jugés antisémites. « Je remercie Manuel Valls pour ses prises de position », a indiqué M. Klarsfeld.

Dieudonné doit à l'Etat 65 000 euros issus notamment d'amendes pour propos racistes ou antisémites, dont plus de 37 000 euros en condamnations définitives, qu'il n'a pas réglées. M. Valls affirmait vendredi que « tous les services de l'Etat » devaient se mobiliser pour le contraindre à payer. « L'organisation frauduleuse d'insolvabilité est punie par la loi », a rappelé pour sa part la ministre de la justice, Christiane Taubira, dans une tribune publiée par le site Huffington Post.


« Sanctionner avec efficacité est indispensable mais ne suffira pas. Pas lorsqu'un pitoyable bouffon spécule davantage sur les dividendes d'un scandale que sur les risques judiciaires », a aussi prévenu Mme Taubira. « Ces provocations putrides testent la société, sa santé mentale, sa solidité éthique, sa vigilance. Il nous faut y répondre, car la démocratie ne peut se découvrir impuissante face à des périls qui la menacent intrinsèquement », écrit la ministre.


Christiane Taubira condamne les « pitreries obscènes d'un antisémite multirécidiviste »

« Ebranler les hommes. » La ministre de la justice, Christiane Taubira, a choisi une citation d'Albert Hirschman – l'économiste, mort l'an dernier, avait fui le national-socialisme en Allemagne dans les années 1930 –  pour évoquer son sentiment sur l'affaire Dieudonné. Dans une tribune publiée sur le Huffington Post, vendredi 3 janvier, la ministre de la justice condamne fermement les « pitreries obscènes d'un antisémite multirécidiviste ».
Sans jamais citer le nom de l'humoriste, elle se demande comment « trouver quelque plaisir à se faire complice, après coup, de ce crime contre l'humanité » qu'est la destruction des juifs d'Europe, visant également ceux qui rient de concert, dans les salles de spectacle. Pour la ministre de la justice, il ne s'agit pas moins que d'« une nouvelle épreuve pour la démocratie ». Car si « la liberté d'expression doit demeurer le principe, ce principe ne peut servir de paravent à des ignominies ».
Comment agir, alors ? Alors que le ministre de l'intérieur se penche sur la périlleuse question de l'interdiction des spectacles, Christiane Taubira défend ses troupes. « La justice n'a pas failli », écrit-elle. Pour preuve, les multiples condamnations de Dieudonné, notamment pour provocation à la haine et à la discrimination raciale. Elle revient néanmoins sur la question de l'exécution de ces condamnations, l'humoriste controversé ne payant ni les amendes ni les dommages et intérêts. « L'organisation frauduleuse d'insolvabilité est punie par la loi, aux termes de l'article 314-7 du code pénal ; et si elle est avérée, elle doit faire l'objet des diligences nécessaires », précise Mme Taubira.
Pour la ministre, si « sanctionner avec efficacité est indispensable » dans cette affaire, cela ne suffit pas. « Pas lorsqu'un pitoyable bouffon spécule davantage sur les dividendes d'un scandale que sur les risques judiciaires. » Pour lutter contre ces « provocations putrides [qui] testent la société », Taubira demande à la démocratie et à chacun de ses citoyens de résister.
Les démineurs du laboratoire de la préfecture de police de Paris se sont rendus au Théâtre de la Main d'or, propriété de l'humoriste Dieudonné M'bala M'bala, après qu'une alerte à la bombe leur a été signalée jeudi 2 janvier à 17 h 20, selon les informations du journal Le Parisien. Une fois arrivés dans ce théâtre du 11e arrondissement de Paris, dans lequel l'humoriste doit se produire ce soir, les démineurs n'ont rien décelé.
Toujours selon Le Parisien, l'appel aurait été passé d'une cabine téléphonique, et Dieudonné M'bala M'bala, qui se trouvait dans l'établissement au moment des faits, n'aurait pas souhaité porter plainte.
Les appels à manifester ou à interdire les spectacles de l'humoriste français, qui commence une tournée à Nantes le 9 janvier, se sont par ailleurs multipliés au cours de la journée.

Deux nouvelles villes réclament l'interdiction des spectacles
Deux villes lorraines, Nancy et Metz, ont réclamé jeudi l'interdiction des spectacles du comique français prévus respectivement les 18 et 19 janvier.
Le maire de Nancy, André Rossinot (UDI), a réclamé que « l'Etat prenne les dispositions pour l'interdiction » de la représentation de l'humoriste, estimant qu'« il s'apparente plus à de la propagande qu'à un spectacle ». Dans un communiqué, le maire affirme son attachement à la liberté d'expression, « une donnée fondamentale de notre société », mais lorsque « cette expression qui se doit d'être libre se transforme en une propagande raciste, xénophobe et antisémite, il y a lieu de réagir en préservant la République des atteintes qui sont portées à ses valeurs ».
A Metz, l'adjoint à la culture, Antoine Fonté (PS), a dit qu'il allait « demander au préfet d'examiner tous les éléments juridiques pour l'interdiction du lieu et du spectacle ».

Dans le viseur de Manuel Valls
Invité sur Europe 1 vendredi matin, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a apporté son soutien aux maires qui « s'engagent dans ce combat, parce qu'il s'agit là de lutter contre la diffusion de l'antisémitisme, du racisme, du négationnisme, des choses insupportables, condamnées par la loi ». Concédant que « les voies juridiques » n'étaient « pas simples » pour parvenir à interdire le spectacle, il a affirmé avoir « demandé aux préfets d'examiner, cas par cas, la situation des spectacles pour pouvoir les interdire, en fonction notamment du trouble à l'ordre public ».

« Tous les services de l'Etat doivent être très déterminés », a également affirmé le ministre de l'intérieur, qui est revenu sur la question de l'insolvabilité de Dieudonné qui ne paye pas ses amendes et dommages et intérêts.

« Je sais que je peux compter sur Christiane Taubira pour mener ce combat pour faire en sorte que Dieudonné, qui tente d'organiser son insolvabilité pour s'affranchir de sanctions pénales et ne pas payer les amendes, soit obligé de payer. »

L'avocat Arno Klarsfeld réédite son appel à manifester
Arno Klarsfeld, fils du chasseur de nazis Serge Klarsfeld, a de son côté de nouveau appelé les Français à manifester contre les spectacles de Dieudonné : « En tant que membre des Fils et filles des déportés juifs de France, association présidée par mon père, j'appelle les citoyens, juifs et non juifs, à manifester leur indignation, ce qui est un droit constitutionnel, afin de dénoncer la haine antisémite et qu'il ne soit pas permis dans la France de 2014 de dire que les chambres à gaz n'ont pas gazé assez de juifs », a-t-il expliqué à l'Agence France-presse.

Dieudonné M'bala M'bala avait pris à partie M. Klarsfeld dans une vidéo postée mardi soir sur son compte Youtube : « Arno (...) à jouer aux cons, à menacer tout le monde, tu vas finir par te faire défoncer ta petite gueule de petite chatte d'appartement. Sois responsable. On doit montrer l'exemple. » L'avocat, qui s'était déjà exprimé publiquement le 27 décembre, a également tweeté un résumé des attaques à son encontre publiées sur le blog du journaliste Jean-Marc Morandini.

Le parquet de Paris ouvre une enquête
A Paris, le parquet a ouvert une enquête après une plainte déposée mardi par Dieudonné M'bala M'bala au commissariat du 11e arrondissement pour « menaces réitérées de destruction du Théâtre de la Main d'or », où il se produit à Paris, et « menaces de violences ».

L'enquête a été confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), déjà chargée depuis lundi d'une enquête ouverte par le parquet de Paris sur des propos tenus par Dieudonné M'bala M'bala à l'encontre du journaliste de France Inter Patrick Cohen.

Un membre des Jeunes socialistes démissionne pour avoir soutenu l'humoriste
Dans les Pyrénées-Orientales, le dirigeant du Mouvement des jeunes socialistes a été contraint de démissionner après avoir soutenu Dieudonné M'bala M'bala au nom de la liberté d'expression. Anthony Cortès, animateur départemental du MJS depuis août 2013, était intervenu il y a quelques jours sur Twitter pour exprimer sa « honte de [son] ministre de l'intérieur », Manuel Valls, et sa volonté de voir interdits les spectacles de l'humoriste. Le jeune homme, qui a depuis effacé ses commentaires, dit avoir « juste eu une réaction épidermique » et avoir « voulu défendre la liberté d'expression ». Mais il a été « mal compris », pense-t-il.


Governo francês tenta travar humorista acusado de anti-semitismo
SOFIA LORENA 30/12/2013 – in Público
Inquérito aberto contra Dieudonné, o pai do quenelle, um gesto que não pára de dar polémica, por “incitação ao ódio racional”.

Quenelle, ou glissant des quenelles, como diz o seu inventor, Dieudonné M’bala M’bala, é um gesto, anti-sistema, segundo o humorista, anti-semita, segundo o Governo francês e parte dos seus seguidores, onde se incluem, por exemplo, membros do partido de extrema-direita Frente Nacional. A procuradoria de Paris abriu esta segunda-feira um inquérito preliminar por “incitação ao ódio racial” contra Dieudonné – o motivo não é o quenelle, mas podia ser.

Dieudonné é conhecido há muitos anos – nos anos 1990, e durante sete anos, teve um duo com um artista judeu, Eli Semour –, o polémico quenelle é mais recente, assim como os seus problemas com a justiça. Enfim, ele já é um pária desde que, em 2003, surgiu com alguns adereços de judeu ultra-ortodoxo e um blusão militar num monólogo que acabava com a saudação nazi.

O quenelle popularizou-se depressa. O próprio Dieudonné estima que mais de 9000 pessoas se tenham fotografado a fazer o quenelle nos últimos meses (todas as fotos são naturalmente publicadas na Internet); algumas são personalidades públicas e algumas pediram desculpa depois de saberem da conotação anti-semita do gesto. O último foi o futebolista Nicolas Anelka, que no sábado festejou assim o segundo golo do West Bromwich contra o West Ham, “uma dedicatória especial ao meu amigo comediante Dieudonné”, explicou no Twitter.

O comediante diz que se trata de “um gesto de insubmissão ao sistema”. O presidente da Liga Internacional Contra o Racismo e o Anti-semitismo, Alain Jakubowicz, descreve-o como uma “saudação nazi invertida, o que significa a sodomização das vítimas” do Holocausto. Quenelles são uns bolinhos fritos, de peixe ou de carne. O gesto, na verdade, assemelha-se bastante ao tradicional manguito. Ouvido pelo Libération, o politólogo Jean-Yves Camus defende que Dieudonné une “um movimento transversal e anti-sistema, que tem no anti-semitismo a sua coluna vertebral” e que “recusa uma ordem mundial dominada pelo eixo Washington-Telavive”.

Em Setembro, já a polémica tinha estalado por causa de dois militares que decidiram fotografar-se a fazer o quenelle diante de uma sinagoga no centro de Paris. “Ofenderam o uniforme e os valores do Exército”, disse na altura o ministro da Defesa, Jean-Yves Le Drian. Dois meses depois, Dieudonné foi condenado a pagar 28 mil euros por difamação, injúria e provocação ao ódio e à descriminação racional por causa de uma canção.

Dieudonné tornou-se demasiado popular. E o Governo francês decidiu que não o pode tolerar e quer tentar proibir os seus espectáculos, o que não se avizinha tarefa fácil. Já em 2010, o Conselho de Estado confirmou o direito do humorista a actuar numa localidade – a autarquia tentou impedir a actuação.

O processo agora iniciado apoia-se num vídeo gravado por um espectador e transmitido depois na France 2 onde Dieudonné ataca um jornalista da rádio pública France Inter, Patrick Cohen. “Estás a ver, se o vento muda, não tenho a certeza se ele tem tempo para fazer a mala. Quando o oiço falar, Patrick Cohen, penso, estás a ver, as câmaras de gás… Que pena.”

Os ataques do humorista contra Cohen são frequentes desde que o jornalista perguntou ao apresentador de um programa de televisão se ele tencionava continuar a convidar “personalidades como Tariq Ramadan, Dieudonné, Alain Soral”. Ramadan é um académico muçulmano, suíço de origem egípcia, habituado a enfrentar suspeitas (é tratado como ocidental pelos árabes e muitos ocidentais acusam-no de ter uma agenda escondida de islamização da Europa). Soral, um ensaísta que diz estar na avant-garde política da sociedade francesa, é criticado pelo seu anti-semitismo e considerado ideólogo da extrema-direita. Também ele fez o quenelle, escolheu o Memorial do Holocausto em Berlim.

Dieudonné, filho de um camaronês e de uma francesa da Bretanha, defende-se sempre com a liberdade de expressão. Nos últimos anos aproximou-se do antigo líder da Frente Nacional, Jean-Marie Le Pen, padrinho do seu quarto filho, nascido em 2008. Em 2009, o humorista quis candidatar-se ao Parlamento Europeu à frente de uma lista assumidamente anti-sionista.

O processo agora iniciado tem grandes probabilidades de chocar com a Constituição Francesa ou com a Convenção Europeia dos Direitos Humanos. O ministro do Interior, Manuel Valls, diz-se decidido a “romper a mecânica do ódio” e quer “proibir reuniões públicas que já não pertencem à dimensão criativa”, querendo com isto dizer que vai defender o risco de provocação de distúrbios públicos dos espectáculos de Dieudonné.

Face à Dieudonné, appliquer la loi, rien que la loi
LE MONDE | 31.12.2013 / http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/12/31/face-a-dieudonne-appliquer-la-loi-rien-que-la-loi_4341573_3224.html

En cette fin d'année 2013, un air nauséabond flotte sur la société française fracturée par la crise. Après les attaques racistes contre la garde des sceaux, Christiane Taubira, voici qu'un « amuseur », Dieudonné M'bala M'bala, condamné neuf fois depuis 2006 pour diffamation, injures et provocation à la haine raciale, fait rire son public en proférant des propos violemment antisémites contre Patrick Cohen, journaliste à France Inter. La liberté d'expression peut-elle tolérer de tels discours de haine ? La liberté de réunion, garantie par la loi du 30 juin 1881, peut-elle autoriser un spectacle « humoristique » qui balaie toutes les transgressions et met en doute la Shoah ?

A ces questions, le ministre de l'intérieur répond par la négative. Avec le soutien de François Hollande, Manuel Valls s'apprête à adresser des instructions aux préfets en vue d'« interdire des réunions publiques qui n'appartiennent plus à la dimension créative, mais contribuent, à chaque nouvelle représentation, à accroître les risques de troubles à l'ordre public ». Pour M. Valls, Dieudonné est « antisémite et raciste » et « il faut casser cette mécanique de haine ».
Si on veut transformer le paria en héros, le victimiser, en faire une sorte de martyr, il faut interdire les spectacles de M. M'bala M'bala. Mais ce serait une grave erreur. Car, sur la forme, la procédure est vouée à l'échec. La jurisprudence du Conseil d'Etat montre qu'il est quasiment impossible d'interdire des réunions dispensées par la loi d'autorisation préalable. Le contrôle sur d'éventuelles infractions pénales ne peut s'exercer qu'a posteriori et non a priori. De même, la notion de « troubles à l'ordre public » est difficile à manier. Et, là encore, le Conseil d'Etat estime que c'est aux pouvoirs publics de prendre préventivement les « mesures appropriées

Derrière l'affaire Dieudonné, l'essor d'un public « antisystème »
LE MONDE | 31.12.2013 / http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/31/affaire-dieudonne-l-essor-d-un-public-antisysteme_4341646_3232.html

Les attaques récentes visant la garde des sceaux signaient le retour du racisme colonial archaïque, mais dont les ressorts n'ont pas entièrement disparu. Voici que l'antisémitisme, avec Dieudonné, s'installe dans l'actualité, en même temps que le geste de la « quenelle », vague synthèse du salut nazi et du bras d'honneur, de la haine des juifs et du rejet du système.
Laissons ici l'histoire personnelle de Dieudonné, dont on dira qu'elle relève d'un processus qu'il a enclenché, dans lequel ses premières outrances ont suscité des réactions le marginalisant tout en le radicalisant encore plus. L'important est dans ses publics.

UN PUBLIC SENSIBLE À LA DÉMAGOGIE

Ceux qui vont à ses spectacles ne se limitent pas à Jean-Marie Le Pen, président d'honneur d'un parti dont sa fille voudrait nous faire croire qu'il est devenu respectable, au négationniste Robert Faurisson, que Dieudonné a fait acclamer au Zénith, en 2008, ou au seul intellectuel potable dont puisse se réclamer l'extrême droite, Alain de Benoist. Ce public est aussi sensible à la démagogie antisystémique de Dieudonné qu'il est perméable à sa haine des juifs et d'Israël.

Celle-ci tranche, en partie au moins, avec l'antisémitisme classique qui s'était révélé et développé avec l'affaire Dreyfus et s'est maintenu actif jusqu'au milieu du XXe siècle. Durant cette période a prospéré une thématique au cœur de laquelle les juifs étaient accusés de miner la culture et la nation françaises. A partir des années 1980, des thèmes inédits sont apparus, ou ont trouvé une nouvelle jeunesse : la Shoah a été niée ou accusée d'être à l'origine d'un juteux business, et l'antisionisme s'est plus ou moins confondu avec la haine des juifs.

Des esprits faux ont cru alors possible d'associer dans un même opprobre la gauche progressiste, pro-palestinienne parfois à outrance il est vrai, et l'islamisme, parlant d'islamo-progressisme pour qualifier le nouveau malheur.

En fait, c'est surtout parmi ceux qui s'identifient à la cause palestinienne parce qu'ils sont eux-mêmes d'origine maghrébine, ou à l'islam radical, en butte à Israël et aux Etats-Unis, que s'est développé le nouvel antisémitisme, tandis que l'ancien régressait. Et c'est là où on trouve Dieudonné.

UN PUBLIC VIRTUEL

Cet avatar de la haine des juifs n'a rien à voir avec la défense de la culture et de la nation – qui irait dire de Dieudonné qu'il incarne l'une ou l'autre ? Il est lourd avec lui d'une rage qui n'a rien de nationaliste, il porte plutôt la haine d'une France puissance coloniale – le lien avec les juifs est ici qu'ils voudraient, selon Dieudonné, disposer du monopole de la souffrance historique, au détriment des Noirs. Enfin, Dieudonné parle en termes vaguement sociaux, au nom de ceux qui pâtissent de l'exclusion ou de la précarité.

Comment fait-il pour plaire à l'extrême droite nationaliste autant qu'aux populations issues de l'immigration récente (maghrébine, subsaharienne), sans parler des Antillais – qui ne constituent pas spécialement le fonds de commerce du FN ? Le paradoxe se résout grâce à l'antisémitisme, qui subsume les différences et rapproche des personnes que tout sépare par ailleurs.

Lire aussi (édition abonnés) le point de vue l'anthropologue Jean-Loup Amselle : Dieudonné fait ressurgir un antisémitisme postcolonial

Dieudonné a aussi un public virtuel, qui le suit sur Internet et les réseaux sociaux. Les technologies de l'information et de la communication ont créé un espace qui n'est ni celui du privé, où les conversations se limitent à quelques personnes tout au plus, où tout peut être dit, pourvu, précisément, de rester au sein de cette sphère, ni celui de la vie publique classique et de ses médias.

Internet, le téléphone mobile dessinent un espace singulier, intermédiaire entre le public et le privé. Et dans cette zone sans frontières qui exerce une pression constante dans l'espace public et la sphère privée, la communication est instantanée, massive, participative, tout le monde peut exister, s'exprimer.

Une culture se développe dans ce contexte, insistant sur la liberté d'expression – interdire, c'est aller à l'encontre de la révolution culturelle qu'apporte le numérique. Ce qui est favorable aux discours émancipateurs, mais aussi à ceux de la haine.

LES RÉSEAUX SOCIAUX PEUVENT AUSSI SERVIR LE MAL

On a souvent insisté sur le caractère bénéfique de cette évolution, sur le rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes ou les luttes d'« indignés » : force est de constater que la technologie peut aussi servir le mal. Dieudonné en bénéficie pleinement et y trouve une ressource considérable.

Public réel et public virtuel peuvent-ils se fondre ? La comparaison, là aussi, avec les mouvements contestataires récents est édifiante : c'est en se retrouvant, grâce à Internet, sur des places, dans des lieux concrets, que ces acteurs ont pris leur essor.

Ce qui justifie les efforts politiques et institutionnels pour rendre impossibles les spectacles de Dieudonné, et donc la fusion de ses deux publics, mais ne règle pas tout. Si l'on souhaite empêcher la diffusion de l'antisémitisme, telle que la promeut Dieudonné, il faut agir au niveau d'Internet et des technologies de communication moderne.



Dans les deux cas, on s'expose à en faire un martyr, mais aussi à aller à contre-courant de la culture de la liberté d'expression propre aux évolutions contemporaines. Et dans les deux cas, on corrige les effets sans aller au fond, lancinant, au fait qu'une société comme la nôtre puisse laisser place à un racisme archaïque ou à un antisémitisme renouvelé.


Jonathan Parienté et Soren Seelow
Dieudonné pourra-t-il se produire dans la dizaine de villes inscrites au programme de sa tournée en ce début d'année 2014 ? Les maires de Marseille, Nantes, Limoges et Toulouse ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas le voir monter sur scène chez eux. Le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, et son homologue socialiste de Nantes, Patrick Rimbert, ont même expressément demandé à leur préfecture d'examiner l'interdiction de ses représentations, prétextant d'éventuels « troubles à l'ordre public ».
Ces édiles se placent dans la droite ligne de Manuel Valls qui, le 28 décembre 2013, a annoncé l'envoi d'instructions aux préfets leur demandant « d'apprécier si le risque de trouble est caractérisé et justifie d'interdire la représentation » des spectacles de Dieudonné M'Bala M'Bala, poursuivi pour « incitation à la haine raciale » après ses propos visant le journaliste de France Inter Patrick Cohen. Maires et préfets risquent pourtant de se trouver bien démunis pour empêcher l'inventeur de l'indigeste « quenelle » de se produire chez eux.


« LES RÉUNIONS PUBLIQUES SONT LIBRES »

La liberté de réunion est régie par la loi du 30 juin 1881, une des plus libérales – avec celle encadrant la liberté d'expression – parmi les modes d'organisation des libertés publiques. Il y est précisé que « les réunions publiques sont libres » et qu'« elles peuvent avoir lieu sans autorisation préalable ». Autrement dit, en droit français, « on se réunit librement, et le contrôle intervient a posteriori, en cas d'infraction pénale », explique sur son blog la professeur de droit public Roseline Letteron.

Toutefois, selon la loi, il incombe aux organisateurs d'« empêcher toute infraction aux lois, d'interdire tout discours contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs, ou contenant provocation à un acte qualifié crime ou délit ». En clair, les pouvoirs publics peuvent, pour interdire un spectacle, invoquer un « trouble à l'ordre public », comme l'a fait M. Valls, ou dénoncer le contenu illégal dudit spectacle.

Dans le premier cas, le plus courant, la jurisprudence est très claire. En 1933, le maire de Nevers avait voulu interdire une conférence en raison des protestations de syndicats d'instituteurs qui s'estimaient ridiculisés par le conférencier, un certain René Benjamin. Le Conseil d'Etat avait annulé l'interdiction, considérant que le « maintien de l'ordre public [devait] être mis en balance avec le nécessaire respect de la liberté de réunion ». Cet arrêt – l'arrêt Benjamin – fait toujours jurisprudence et a été complété depuis.

TROUBLES À L'ORDRE PUBLIC

En 2010, le maire d'Orvault, près de Nantes, a tenté d'annuler un spectacle de Dieudonné, estimant que « les prises de position personnelles de l'artiste, notamment à l'égard de la communauté juive et par ailleurs sanctionnées par les tribunaux », ne pouvaient « être dissociées de sa prestation », qui était donc « génératrice de troubles à l'ordre public ». L'édile n'a eu gain de cause ni auprès du tribunal administratif ni devant le Conseil d'Etat. La plus haute juridiction administrative a considéré que ses allégations n'étaient « étayées par aucun élément, en dehors d'une référence d'ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste ont pu susciter ».

Le Conseil d'Etat va plus loin. Il estime qu'en cas de risques de troubles, il revient aux pouvoirs publics d'appliquer les « mesures appropriées » pour assurer la sécurité. En d'autres termes, explique Me Gilles Devers, avocat spécialiste des libertés fondamentales, l'interdiction d'un spectacle de Dieudonné ne pourrait intervenir « que si la police n'était pas capable d'assurer l'ordre public, ce qui ne saurait se justifier dans le cas d'une salle de spectacle fermée ».

S'agissant du contenu du spectacle à proprement parler, il semble d'autant plus hasardeux d'établir a priori le caractère illicite d'un show qui se présente comme humoristique. Dans son arrêt de 2010 à propos de la représentation d'Orvault, le Conseil d'Etat estime ainsi qu'« il n'est pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l'ordre public ou se heurterait à des dispositions pénales ». La Cour européenne des droits de l'homme établit par ailleurs la distinction entre « les incitations réelles et sérieuses à l'extrémisme » et le droit des personnes à s'exprimer librement, y compris au risque de « heurter, choquer ou inquiéter l'État ou une fraction quelconque de la population ».

Fort de cette jurisprudence, Dieudonné a volé de victoires en victoires face aux élus qui l'avaient déclaré persona non grata. « Nous avons dû avoir entre dix et quinze recours contre nous à ce jour. Nous les avons tous gagnés », rappelait samedi au Monde l'avocat de l'humoriste, Me Jacques Verdier. « Nous attaquerons tout arrêté qui sera prononcé et nous gagnerons, comme nous l'avons fait jusque-là », a-t-il promis.

M. Valls n'a pas précisé quelle serait la teneur de la circulaire qu'il allait transmettre aux préfets. La préfecture de Loire-Atlantique affirme attendre les « instructions » ministérielles. En attendant, les pétitions pour (et contre) l'« humoriste » engrangent les signatures, le débat se tend et les idées qu'entendent combattre les contempteurs de Dieudonné sont plus audibles que jamais.

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