|
Paris, dimanche.
Derrière la bannière Jour de colère, des manifestants venus d’horizons très
hétéroclites ont surpris par la violence de leurs slogans. Des propos
choquants, ciblant les juifs, les musulmans, les homosexuels...
226 interpellés
à Paris
Dimanche à
Paris, 160 000 personnes selon les organisateurs, 17 000 selon la police, ont
participé à la manifestation anti-Hollande «Jour de Colère», en marge de
laquelle des slogans anti-Israël, ou tels que «CRS, milice des juifs», ont été
notamment entendus.
Parmi les 226
personnes interpellées à l'issue du rassemblement, dont la majorité a été
remise en liberté lundi, quatre jeunes ont été condamnés en correctionnelle
mardi à Paris à des peines de deux mois avec sursis pour des violences contre
les forces de l'ordre.
LeParisien.fr
|
Le catéchisme «
antipédago », le « gender » et la nouvelle extrême droite soralo-dieudonniste
24 janvier 2014 / Luc Cédelle / JOURNALISTE AU MONDE
Chacun connaît les fondamentaux de la rhétorique «
antipédagogiste » installée depuis une quinzaine d’années au sommet des
discours en vogue sur l’école et du prêt-à-penser pour politiques en panne de
programme. L’école, en proie à un « effondrement », aurait renoncé à la
transmission comme à l’autorité. Un « constructivisme » sans limites règnerait
dans des classes qui ne sont plus des classes, mais des lieux de débats forcés
où l’élève doit construire lui-même ses savoirs, etc.
Ce discours désormais éculé connaît une infinité de
déclinaisons, de droite (beaucoup) à gauche (moins mais fréquent). Du plus chic
au plus vulgaire, depuis le mépris de nombreux universitaires envers toute
démarche pédagogique, présentée comme antithèse du « savoir », jusqu’aux
diatribes éruptives à la Brighelli, prince littéraire de l’exécration, ou aux
ridicules recyclages de Rama Yade sur une Education nationale qui aurait été
transformée en « Woodstock » permanent.
Un nouvel avatar
Chaque fois que l’on croit pouvoir tourner la page,
quitter le théâtre des polémiques délirantes pour de nécessaires confrontations
argumentées (dont le dialogue Meirieu/ Kambouchner pourrait être un modèle), ce
type d’atrocité intellectuelle ressurgit, inépuisablement relancé par une
quelconque entreprise éditoriale ou politique peu scrupuleuse. Un nouvel avatar
en est apparu là où on ne l’attendait pas, preuve supplémentaire de l’extrême «
portabilité » de ce discours.
C’est une découverte triste, troublante, dérangeante.
Particulièrement au moment où l’on vient de revenir, çà et là, sur le trentième
anniversaire de la « marche des Beurs » d’octobre à décembre 1983, dont le vrai
nom était « marche pour l’égalité et contre le racisme ».
Farida Belghoul, auparavant étudiante communiste à la fac
Tolbiac en 1978, ne fut pas une
marcheuse de 1983 mais une importante figure, néanmoins, de la « deuxième
génération » de l’immigration et de cette époque. Elle fut la principale
animatrice de l’initiative Convergence 84 qui, avec le slogan « la France,
c’est comme une mobylette, pour avancer, il lui faut du mélange », fit se
rejoindre à Paris cinq cortèges de de jeunes « rouleurs » accompagnés par des
dizaines de milliers de manifestants.
C’est elle qui -
belle allure - prononça à l’arrivée à
Paris un brillant discours final. Mettant en garde les participants contre les
récupérations politiques, au moment où
SOS Racisme était lancé avec le soutien de l’Elysée, elle y dénonçait le «
paternalisme » des associations et organisations de gauche et, au nom de la
revendication d’égalité, refusait « d’enfermer » le mouvement dans la seule
démarche antiraciste.
« Toujours en marche »
Elle quitta ensuite les feux de l’actualité. Auteur
notamment d’un roman (Georgette ! Barrault éditions, 1986) et de deux films
(C’est Madame la France que tu préfères et Le Départ du père), devenue en 1996
enseignante de français en lycée professionnel, Farida Belghoul n’est réapparue
sur la scène publique qu’en 2008, lors du 25ème anniversaire de la marche de
1983.
Sollicitée par les médias sur cette commémoration, elle
lance au même moment une association, dénommée REID (pour « Remédiation
individualisée éducative à domicile »), initiative en direction des jeunes
déscolarisés. Elle apparaît, entre autres, dans l’hebdomadaire Politis,
l’association rencontre un écho dans « Là-bas si j’y suis », la célèbre
émission de Daniel Mermet sur France Inter et son portrait est croqué par
Libération en dernière page sous le titre « Toujours en marche ».
Et maintenant ? Maintenant, il faut se résoudre à un
triste constat. Alerté par un tweet contenant un lien sur le site des Dernières
nouvelles d’Alsace (DNA) je tombe sur ce titre : Strasbourg : un collectif veut
boycotter les écoles en agitant le spectre de la "théorie du genre"
L’article annonce que « différentes organisations proches
des milieux intégristes et d’extrême droite, liées au mouvement de la
"Manif pour tous" (contre le mariage homosexuel) organisent vendredi
à Strasbourg une «journée de retrait de l’école» en signe de protestation
contre la supposée introduction de la "théorie du genre" à l’école.
La Ville dénonce une manipulation, le rectorat déplore la rumeur. »
Galerie de prédicateurs
Jusque là, cette information est en cohérence avec un
contexte d’actualité qui ne surprendra personne. Mais en poursuivant la lecture
des DNA, j’apprends avec stupéfaction que : « La journée de retrait de l’école
» est menée par une romancière et cinéaste Farida Belghoul, une figure
historique du mouvement Beur des années 80. Son message
est relayé par un certain nombre d’associations dont Égalité et Réconciliation,
l’association d’Alain Soral, proche de Dieudonné. »
Une rapide recherche confirme ce que les spécialistes
des droites extrêmes savent certainement depuis longtemps mais qui relève pour
moi d’une pénible découverte : Farida Belghoul a bel et bien réinvesti son
expérience et son savoir-faire militant dans le mouvement d’Alain Soral. En
quelques années, une femme animée par des idéaux d’émancipation s’est donc
perdue dans le conspirationnisme, l’ignominie antisémite et le soutien aux
régimes iranien et syrien qui caractérisent cette mouvance.
Une mouvance qui pousse sa pelote dans un espace
infra-politique, une sorte de Second Life de la vie publique où les courants,
partis, institutions historiques auraient totalement disparu au profit d’une
galerie de prédicateurs accumulant sur Internet un spectaculaire capital de popularité…
en attente d’utilisation le moment venu. Poussant un peu la curiosité, je visionne une vidéo, choisie sur ce qui se
présente, logo à l’appui, comme ERTV (ER pour Egalité et Réconciliation), où
Farida Belghoul disserte sur la soi-disant théorie du genre (ou toujours pour
cultiver l’étrangeté sémantique, «
théorie du gender »)
Nouvelle surprise : les trois-quarts de son
intervention consistent en une reprise en version hard et « conspirationnisée »
du discours antipédagogiste. L’école publique y est décrite comme totalement à
la dérive : il n’y a plus de maîtres, plus de classes, plus d’autorité, plus de
savoir et une sorte de propagande gaucho-bobo effrénée y étend son emprise.
Tous les poncifs y passent : l’apprentissage de la lecture compromis par les
mauvaises méthodes, l’orthographe abandonnée, les règles de grammaire bafouées,
les œuvres littéraires remplacées par l’étude du gansta rap et celle du «
schéma actanciel », les IUFM acteurs du désastre constructionniste, l’appel à
rétablir un ministère « de l’Instruction publique », etc.
Rampe de lancement
Le tout servant de rampe de lancement à l’appel à la
mobilisation contre ce qui est présenté comme l’axe central de la politique de
Vincent Peillon : la « propagande LGBT », destinée, selon ce discours qui prend
alors des accents proprement délirants, à « apprendre l’homosexualité » aux
enfants contre les valeurs de leurs familles et à tenter d’éliminer toute
différence entre les sexes. Les « ABCD de l’égalité », des modules pédagogiques
pour lutter contre les stéréotypes, sont dénoncés comme le vecteur d’une
entreprise de « rééducation » des enfants, arrachés à l’influence de leurs
parents par de nouveaux Gardes rouges. Un programme de démolition morale et
sociétale qui serait soigneusement mis en œuvre, main dans la main, par la
hiérarchie de l’éducation nationale et le
SNUIPP.
Voilà. Il faut, pour le croire, en entendre quelques
extraits. La divagation y est poussée jusqu’à prêter à l’enseignement une
volonté de castration mentale et jusqu’à
manier – extraits de vidéos de conspirationnistes américains à l’appui - des accusations tordues de convergence entre
militantisme LGBT et complaisance pédophile.
Attention, il ne faut pas se moquer. Farida
Belghoul ne plaisante pas. Elle y croit. Elle a l’énergie, les compétences et
la force de conviction d’une militante aguerrie, qui sait capter l’auditoire
aussi bien dans une « cité » que devant un public réuni par des associations
catholiques de droite ou au micro de Radio Courtoisie où il lui arrive d’être
invitée. Elle a, comme d’ailleurs Alain Soral que les observateurs patentés de la
vie politique sous-estiment, un vrai talent de tribun, désormais démultiplié
par la vidéosphère numérique sans règlement ni responsabilité éditoriale. Pour
le courant soralo-dieudonniste, Farida Belghoul est une vraie belle prise, un
cadre à haut potentiel, dirait-on dans une société privée.
Et son discours, au moins sur ce terrain des mœurs,
converge désormais à plein avec celui de l’autre branche, traditionnelle, de
l’extrême droite. Aussi faut-il absolument jeter un coup d’œil au site de
la « Journée de retrait de l’école », où
l’on peut lire un appel intitulé « Protégeons la pudeur et l’intégrité de nos
enfants ». Où l’on peut voir aussi que ce type d’action est en train de se
coordonner nationalement. Où l’on peut voir, enfin, au bas d’un « Manifeste »,
voisiner notamment les signatures de Farida Belghoul, de Béatrice Bourges (le «
Printemps français) et… de l’association Lire-Ecrire.
Celle-ci, air connu, se présente comme « un groupe de
parents et de grands parents qui, devant la situation faite aux enfants dans
l'école, ont décidé d'agir pour faire changer le fonctionnement du système
scolaire ». Elle compte dans son conseil d’administration et dans son comité
d’honneur quelques noms connus de la « réacosphère » éducative, que je ne
citerai pas ici pour ne pas pratiquer d’amalgame avec le mouvement d’Alain
Soral. Précaution qui ne doit cependant pas empêcher de faire le constat,
aujourd’hui, sur un terrain précis, d’une convergence flagrante.
Qu’il s’agisse de la préservation d’un « arc républicain
» maintenant les extrêmes aux marges, qu’il s’agisse de la qualité des débats
sur l’école ou de la lutte contre les préjugés homophobes dans les
établissements scolaires, cette convergence ne promet rien de bon.
Luc Cédelle
Manif
anti-Hollande : qui sont vraiment les Jour de colère ?
Pour le ministère de l’Intérieur, la manifestation de
dimanche a agrégé « temporairement des gens d’horizons très hétéroclite, autour
de revendications attrape-tout ». « Nous ne sommes pas sûrs que ses
organisateurs, issus du Printemps français, puissent se structurer sur la durée
», insiste-t-on place Beauvau.
« La République
sera sévère face à ceux qui l’ont mise en cause, a martelé hier Manuel Valls.
Qui sont-ils ?
Les instigateurs
Organisé à l’appel
du collectif Jour de colère , ce rassemblement a été mis sur pied par neuf «
citoyens », réunis « autour de causes communes
: leur amour de la France et du bien commun », comme ils le prétendent,
sous couvert de l’anonymat, sur leur site Internet.
Les
policiers de la Direction du renseignement parisien (DRPP) ont identifié
plusieurs de ces « mystérieux » signataires. « Derrière l’anonymat de
l’organisateur, se cache le groupe Hollande-Dégage, emmené par Hélène Parisy »
révèlent-ils dans une note confidentielle. A 52 ans, cette professeure
d’histoire-géographie au chômage, après avoir enseigné dans un établissement
catholique, prétend ne pas avoir d’« engagement politique », mais se dit
opposée au président sur des thèmes tels que « l’éco-taxe », « les impôts » ou
le traitement accordé au Femen en France... Selon la
police, elle est en contact avec Béatrice Bourges, leader du Printemps
français, la frange la plus radicale des anti-mariage pour tous. Parisy
assure ne pas la connaître. Mais un proche de cette dernière soutient qu’elles
se « connaissent bien ».
Frédéric Pichon, 43 ans, avocat au barreau de Paris,
autre cadre du Printemps français, figure aussi parmi les « mystérieux »
signataires. « Au final, une cinquantaine de mouvements et
d’associations soutient officiellement l’initiative, notent encore les
policiers du Renseignement. Toutefois, seul l’Institut Civitas (catholiques
intégristes) constitue une structure véritablement solide et fédératrice, le reste
étant constitué de groupuscules variés qui représentent peu de sympathisants ».
Les idéologues
Avant de
devenir un antisémite zélé, Alain Soral est adepte des soirées branchées dans
les années 1980, militant PC dans les années 1990, puis membre du bureau
central du FN dans les années 2000, dont il a fini par démissionner pour lancer
une liste antisioniste avec Dieudonné, dont il est le maître à penser, pour les
européennes de 2009. Ses obsessions : le capitalisme, les homosexuels et... les
juifs. Son arme : la provocation (il effectue une quenelle devant le Mémorial
de la Shoah à Berlin en décembre). Son ambition : convertir au nationalisme
politique les jeunes des milieux populaires.
Dans la catégorie des intellectuels dévoyés, il y a
aussi Renaud Camus. Figure de la droite radicale, l’écrivain de 67 ans,
qui refuse le « changement de peuple et de civilisation », appelle à « l’arrêt
presque total de l’immigration légale et illégale, à la fin des régularisations
de clandestins, à la réduction draconienne du nombre des naturalisations. »
Pour celui qui a appelé à voter pour Marine Le Pen lors de la dernière
présidentielle, les Français doivent « entrer en résistance ».
C’est ce qu’a fait, à sa manière Béatrice Bourges, cette
pasionaria du Printemps français, désormais figure de proue du collectif Jour
de colère. Malgré la fatigue et les nausées dû à son « jeûne politique » (NDLR
: une grève de la faim), elle parle de « démission », de « destitution », d’«
élections anticipées ». «Le costume de président est trop grand pour lui»,
assure cette chef d’entreprise de 52 ans. Mère de deux enfants, elle jure que
le défilé de dimanche s’est déroulé dans le calme.
Les soldats
L’organisatrice, H élène Parisy, l’assure : les
manifestants, unis par un même « rejet du gouvernement » étaient « de tous les
âges, toutes les professions, toutes les régions et toutes les religions ».
Elle reconnaît la présence d’une « majorité de catholiques » et note l’absence
de personnes juives « qui ont décommandé lorsque Dieudonné s’est joint à
l’appel ». Au milieu de ces profils plutôt non violents, quelques dizaines de
casseurs « venus en bus de Lille ou de Nice, proches des mouvements hooligans
d’extrême droite », note une source judiciaire.
Chez les 262 personnes interpellées, une majorité de
lycéens et d’étudiants de 16 et 20 ans, un professeur de maths proche des
mouvements nationalistes, un chômeur, une psychomotricienne... « Je suis venue
manifester contre la fiscalité, le mariage gay et pour la famille », clame
Mélanie, 25 ans, travailleuse sociale en Bourgogne. Elle a passé 20 heures en
garde à vue pour « attroupement armé » puis a été libérée.
Aux premiers procès hier, comparaissaient Sybille,
lycéenne, Barthelemy, étudiant en BTS, Louis-Marie, étudiant en médecine, et
Loïc, bachelier. « Nous la soutenons dans son engagement en faveur de la
liberté d’expression et d’éducation, la liberté de la vie, et contre les
attaques envers le catholicisme», souligne le père de Sybille, retraité de la
légion étrangère. A l’issue de l’audience, la jeune fille a été libérée pour
vice de procédure. Les trois garçons, poursuivis pour avoir jeté une barrière
sur des policiers, ont écopé de deux mois de prison avec sursis. Aucun n’avait
d’antécédents judiciaires.
Le Parisien
Boycott de
l'école : la FCPE menacée par des partisans de Farida Belghoul
Meaux, école Binet, lundi. De nombreux parents
d’élèves de cette école située en zone urbaine sensible ayant suivi l’appel à
boycotter la classe, les enseignants ont recensé 40 % d’absents ce jour-là.
(LP/V.R.)
Le ton monte d’un cran. Plusieurs sections franciliennes
de la Fédération de conseil de parents d’élèves (FCPE) ont reçu mercredi en
début d’après-midi un mail de menaces leur enjoignant de « ne pas jouer à
s’opposer aux programmes de la journée de retrait ».
« Nous avons relevé les noms des activistes FCPE qui
défendent la théorie du genre école par école, collège par collège, département
par département en Ile-de-France. On en restera pas là (sic) »,
poursuit le mail anonyme intitulé « Répression FCPE ».
Lundi, à l’appel de Farida Belghoul, une enseignante
proche d’Alain Soral et Dieudonné, de nombreux parents n’ont pas envoyé leurs
enfants à l’école. Ils protestaient contre la volonté supposée de l’éducation
nationale d’apprendre la masturbation en maternelle » ou « déguiser les garçons
en petites filles « ou encore de faire venir « des intervenants homo ou
lesbienne qui viendront leur bourrer la tête d’idées monstrueuses ».
Ce mouvement a été très suivi à Meaux (Seine-et-Marne)
mais aussi à Asnières (Hauts-de-Seine), Garges, Sarcelles, Gonesse
(Val-d’Oise), Grigny (Essonne).
Vincent Peillon, le ministre de l’éducation a
immédiatement qualifié ses propos de « mensonges ». Mercredi, le ministre de
l'Education nationale, a demandé aux proviseurs de convoquer les parents qui
retireraient leur enfant de l'école. Cette initiative vise à «expliquer» aux intéressés
«la réalité des choses» et «leur rappeler que dans notre pays il y a une
obligation scolaire à l'égard des enfants», a-t-il dit devant la presse à la
sortie du Conseil des ministres.